
Les produits chimiques largement utilisés pour se protéger pendant la pandémie de Covid-19 en 2020-2021 suscitent aujourd’hui des inquiétudes chez les scientifiques. De récentes études indiquent qu’ils pourraient avoir exposé la population à des risques pour la santé jusque-là insoupçonnés.
Selon un rapport publié mardi par le Financial Times, l’Union européenne (UE) envisage de classer l’éthanol, ingrédient clé des gels hydroalcooliques et des désinfectants, parmi les substances potentiellement dangereuses en raison de preuves de plus en plus nombreuses suggérant un risque accru de cancer.
Une recommandation interne de l’ECHA
Cette décision intervient à la suite d’une recommandation interne datée du 10 octobre, émise par un groupe de travail de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Ce dernier a signalé que l’éthanol pouvait être toxique, lié à des risques de cancer et à des complications pendant la grossesse, et a encouragé les autorités à envisager des alternatives pour les produits d’hygiène et de nettoyage.
Une molécule simple, un effet complexe
L’éthanol a longtemps été considéré comme un symbole de propreté, un liquide transparent utilisé pour stériliser et protéger. Pourtant, les experts en chimie et en toxicologie savent que ses effets sont bien plus nuancés.
Un chimiste ayant souhaité garder l’anonymat a expliqué à Ici Beyrouth que sa structure simple masque en réalité une grande puissance chimique. «L’éthanol se compose d’une chaîne de deux atomes de carbone et d’un groupe hydroxyle. Il peut être produit biologiquement, par fermentation de sucres comme le glucose ou le saccharose issus de céréales ou de fruits, ou de manière synthétique, à partir de matières premières pétrochimiques.»
Interrogé sur son caractère cancérigène, le chimiste s’est montré prudent mais clair. «L’éthanol peut effectivement provoquer le cancer, mais de manière indirecte. Ce n’est pas l’éthanol lui-même qui est très réactif, mais son métabolite, l’acétaldéhyde, qui se forme lorsqu’il est métabolisé dans l’organisme.» L’acétaldéhyde se lie à l’ADN et aux protéines, provoquant des mutations au fil du temps. Le risque dépend de la dose et de la durée d’exposition: plus la consommation est modérée, plus le danger est faible.
Une omniprésence dans la vie quotidienne
La modération reste toutefois difficile lorsque l’éthanol est littéralement partout. Dans la salle de bain, il est présent dans les bains de bouche, les après-rasages et les démaquillants. Dans la cuisine, il se trouve dans les produits de nettoyage mais aussi dans le vin, la bière et les spiritueux. Dans le garage, il alimente les voitures sous forme de biocarburant et entre dans la composition des peintures, des colles et des nettoyants pour vitres.
C’est le compagnon invisible de la vie moderne, présent dans le gel hydroalcoolique sur le bureau, le parfum à votre poignet et le carburant qui fait rouler votre véhicule. Sa présence dans les boissons alcoolisées est depuis longtemps associée aux cancers du foie, de la bouche et de la gorge, en particulier chez les gros consommateurs.
Le chimiste a également mis en garde contre les risques liés à l’exposition aux vapeurs d’éthanol ou aux fumées issues de sa combustion: «La matière ni ne se crée ni ne se détruit. L’éthanol brûlé dans les moteurs se transforme chimiquement, mais l’exposition à ses sous-produits peut rester nocive.»
Des avis divergents au niveau mondial
Dans ce contexte, le Comité des produits biocides de l’ECHA se réunira du 25 au 27 novembre pour examiner la classification de l’éthanol selon la législation européenne. Le comité devra décider si ce composé doit être officiellement considéré comme cancérigène, mutagène ou toxique pour la reproduction dans le cadre de son usage biocide, c’est-à-dire dans les produits destinés à éliminer des organismes nuisibles. Il évaluera les niveaux de danger, les limites d’exposition et vérifiera si l’éthanol répond aux critères d’exclusion ou de substitution prévus par le règlement sur les produits biocides.
Le comité pourra également examiner la possibilité, même en cas de classement comme substance dangereuse, de maintenir son autorisation pour des usages limités, à condition que l’exposition soit contrôlée ou qu’aucune alternative viable n’existe. La décision finale reviendra toutefois à la Commission européenne, qui étudiera l’avis scientifique du comité avant de trancher.
Alors que les régulateurs européens se penchent sur la question, les autorités sanitaires mondiales adoptent une approche différente. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère toujours l’éthanol et l’isopropanol comme sûrs pour l’hygiène des mains, s’appuyant sur des décennies d’usage et sur leur efficacité prouvée contre les agents infectieux.
Les experts en santé publique rappellent que toute reclassification éventuelle de l’éthanol concernerait surtout les contextes industriels et réglementaires, et non l’usage quotidien des gels hydroalcooliques à domicile.
Prudence et usage éclairé: rester informé pour mieux se protéger
Cette discussion illustre toutefois une réalité plus générale: la sécurité des substances chimiques est complexe, et des produits conçus pour protéger peuvent parfois avoir des effets inattendus. L’éthanol est devenu un incontournable des foyers pendant la pandémie, mais les recherches actuelles soulèvent des questions sur les effets possibles d’une exposition prolongée.
En attendant une décision définitive, la prudence reste de mise. Limiter l’usage des produits riches en éthanol, surtout lorsqu’il existe des alternatives, est une précaution sensée.
Pour finir, l’usage éclairé et responsable demeure essentiel. L’efficacité de ces produits pour réduire la propagation des germes est bien établie, mais une évaluation continue permet de s’assurer que les recommandations de santé publique restent en phase avec les nouvelles données scientifiques.
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