Avec Les Rêveurs, son premier long-métrage inspiré de son adolescence, Isabelle Carré explore la souffrance psychique des jeunes avec délicatesse et espoir. L’actrice devenue réalisatrice veut transformer la douleur en un message de résilience et de vie.
«Sur ce sujet douloureux, je voulais faire un film très doux, qui amène à retrouver le goût de la vie», dit à l’AFP l’actrice et écrivaine Isabelle Carré, dont le premier film, Les Rêveurs, s’inspire de son expérience d’internement en psychiatrie, après une tentative de suicide à 14 ans.
Adaptée de son roman éponyme publié en 2018, cette fiction, dans quelque 200 salles à partir du 12 novembre, suit en 1980 Isabelle, jouée par la talentueuse Tessa Dumont-Janod, une ado joyeuse et créative, négligée par des parents dont le couple vole en éclats, qui se réfugie dans la musique et l’affection de son grand frère.
Rejetée par son premier amour, elle tente de mettre fin à ses jours et se retrouve en hôpital psychiatrique, dépeint comme un sinistre lieu d’enfermement où les enfants sont sédatés. Son tempérament rebelle, la rêverie, les films et l’amitié l’aideront à traverser cette épreuve.
«Sur ce sujet douloureux, je voulais un film très doux, qui amène à retrouver le goût de la vie», résume la cinéaste. «Je voulais toucher de très jeunes filles, de 10-11 ans, souvent victimes de violences sexistes et sexuelles.»
Lors des avant-premières, certains ados livrent des témoignages bouleversants, dit-elle. «Une jeune fille m’a dit qu’après quatre ans d’allers-retours en hôpital psychiatrique, elle s’en sortait grâce au théâtre: elle s’est complètement reconnue dans le film», rapporte Isabelle Carré.
«Elle disait: C’était très dur, on avait l’impression que personne ne s’intéressait vraiment à nous, et qu’on l’enjoignait à ne pas pleurer et même à ne pas rire parce que ça faisait trop de bruit, comme dans les années 80...»
«Pourtant, aujourd’hui, il y a un protocole, on demande à l’enfant ce qu’il pense de son geste, comment il s’est senti... ça n’a pas du tout été le cas pour moi», observe-t-elle.
Venue avec sa classe à Valenciennes, une lycéenne de 15 ans «s’est levée très vite» pour évoquer son hospitalisation. «Je me suis dit, il va y avoir un moment de gênance, comme disent les jeunes: eh bien non, tout le monde a parlé, sans aucun jugement: ça m’a fait très plaisir.»
Provoquer cette «écoute bienveillante, c’est ce que j’espérais secrètement», affirme Isabelle Carré, qui ne voulait «ni images choc, ni piqûres, ni corps abîmés» pour que «les enfants passés dans ces services-là se sentent déstigmatisés».
«Puiser dans tes blessures»
Avec des hospitalisations pour tentatives de suicide ou automutilations des filles de 10 à 14 ans qui ont bondi de 22 % l’an dernier, 2025 risque d’être «l’année de la santé mentale perdue», craint-elle, faute de moyens financiers à la hauteur de cette Grande cause nationale.
Alors que des services de pédopsychiatrie «refusent des enfants tous les jours», forcés de «choisir ceux qui vont le plus mal, en prenant le risque que certains repassent à l’acte», la cinéaste dénonce une absence totale de moyens dans certains territoires.
Sur les conseils de la professeure Marie-Rose Moro, à la tête de la Maison de Solenn (la maison des adolescents de l’hôpital Cochin à Paris) où Isabelle Carré a fait des ateliers d’écriture, elle s’est gardée de faire jouer des adolescents passés en pédopsychiatrie, ce qui aurait pu «les fragiliser».
Comme l’a suggéré la coach en intimité, elle a modifié une scène avec deux ados «en t-shirt sous les draps», dont les images auraient pu «être détournées sur des réseaux pédocriminels, pour mettre des corps nus».
Le casting de Les Rêveurs réunit des comédiens qui lui sont chers dont Bernard Campan, Alex Lutz et Nicole Garcia, qui incarne une charismatique professeure de théâtre.
Cette dernière a posé «une condition : pouvoir rajouter une phrase au dialogue», prononcée de sa magique voix rauque: «Tes blessures ne vont jamais t’abandonner, mais sans le savoir tu vas puiser en elles et c’est ce qui fera de toi une actrice.»
«J’espère qu’on entend: C’est ça qui fera de toi un bel être humain, glisse Isabelle Carré, «capable de surmonter des épreuves et d’être empathique».
Par Rébecca FRASQUET / AFP



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