Dans les prisons libanaises, une population carcérale qui explose
©Ici Beyrouth

Quand on pénètre dans les murs de la prison de Roumieh, située dans le Metn, on pourrait croire à un camp de transit plutôt qu’à un lieu d’exécution des peines. Conçue pour accueillir entre 1 000 et 1 200 détenus, elle en abrite aujourd’hui près de 4 000, soit une occupation d’au moins 300 % de sa capacité.

À l’échelle nationale, le constat n’est guère plus encourageant. Selon Human Rights Watch (HRW), le système pénitentiaire libanais dispose d’une capacité officielle d’environ 4 760 places pour près de 8 500 personnes incarcérées en août 2023. Un rapport plus récent de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH-Liban) estime qu’à la fin de 2023, les prisons centrales, les centres régionaux et les cellules des palais de justice pouvaient accueillir quelque 3 000 détenus, alors que la population carcérale dépassait 7 800.

Autre donnée alarmante : près de 83 % des détenus sont toujours en détention préventive, c’est-à-dire sans jugement définitif, selon des chiffres couvrant la période allant de 2024 à 2025. Ce déséquilibre chronique illustre la lenteur d’un système judiciaire engorgé, incapable de suivre le rythme des arrestations.

Conditions de détention 

Cette surpopulation n’est pas sans conséquences dramatiques. Sur le plan sanitaire, Amnesty International a relevé une chute vertigineuse du budget alloué aux soins médicaux dans les prisons : la valeur réelle des crédits du ministère de l’Intérieur est passée de 7,3 millions de dollars en 2019 à environ 628 000 dollars en 2022, sous l’effet de la dépréciation de la livre libanaise.

L’alimentation et l’hygiène ont également été affectées par la crise économique qui frappe le pays depuis 2019. L’État peine à régler ses dettes auprès des fournisseurs, tandis que les familles des détenus, elles-mêmes frappées par la pauvreté, ne peuvent plus subvenir aux besoins de leurs proches incarcérés.

À Roumieh, symbole de cette crise, des détenus dorment à même le sol ou se partagent des cellules prévues pour un seul occupant. L’accès au soleil est limité, les soins médicaux souvent différés, et les conditions de vie qualifiées d'« inhumaines » par plusieurs organisations.

 

Les causes profondes d’un engrenage

La crise carcérale libanaise ne s’explique pas uniquement par l’augmentation du nombre d’arrestations. Elle résulte de facteurs multiples qui se nourrissent les uns des autres.

La lenteur de la justice constitue la première cause. À Roumieh, sur 3 619 détenus recensés fin 2024, 2 850 n’avaient pas encore été jugés, selon le barreau de Beyrouth. Les audiences sont régulièrement reportées, le transport des prisonniers est limité par le manque de véhicules ou de carburant et les grèves successives des magistrats et avocats ont accentué l’engorgement.

Le poids des détenus étrangers aggrave la situation. Selon les chiffres du même barreau, près de la moitié des 8 402 détenus recensés en 2024 sont des étrangers, dont 2 572 Syriens et 563 Palestiniens.

 

Des pistes d’action encore à concrétiser

Face à cette situation explosive, plusieurs pistes ont été proposées, sans réelle mise en œuvre. Le barreau de Beyrouth plaide pour l’accélération des jugements et la promotion d’alternatives à l’incarcération pour les délits mineurs, telles que l’assignation à résidence, les peines avec sursis ou les amendes. D’autres appellent à la construction de nouveaux établissements ou à la réhabilitation de ceux déjà existants, à l’instar du centre de réhabilitation de Ouarouar récemment inauguré (en mai 2025) à Baabda. 

L’amélioration des conditions de détention reste aussi une urgence : il s’agit de garantir un accès minimal à la santé, à une alimentation correcte et à un hébergement digne. 

Enfin, la question des détenus étrangers pourrait être partiellement résolue par des rapatriements encadrés. Il convient de souligner que le rapatriement de détenus syriens du Liban vers la Syrie est aujourd’hui à l’ordre du jour, notamment après la chute du régime syrien de Bachar el-Assad en décembre 2024. Les discussions entre les deux pays se poursuivent dans ce sens. 

Rarement mise en avant dans le débat public, la crise carcérale libanaise agit comme une véritable bombe à retardement sociale. Quand la plus grande prison du pays affiche un taux d’occupation de 360 %, quand plus de 80 % des détenus n’ont pas été jugés, quand la santé et l’alimentation deviennent des privilèges, il ne s’agit plus simplement d’un problème de gestion, mais d’une urgence humanitaire au cœur d’un État déjà en crise.

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