Liban et Proche-Orient: paradoxe et déraison  
©AFP

Lorsque l’irrationnel et la déraison dépassent tout entendement dans la ligne de conduite d’une partie politique influente, nous parvenons alors rapidement à une situation dans laquelle les lignes rouges sont gravement franchies. De lourdes menaces pèsent de ce fait sur le sort des populations directement atteintes par les égarements de la faction en délire. Cela s’applique dans les circonstances présentes à plus d’un acteur qui s’agitent sur la scène levantine.

C’est dans ce cadre qu’il convient de percevoir la décision prise mercredi dernier par la Knesset, à l’instigation évidente de l’extrême droite israélienne, d’examiner deux propositions de loi visant à annexer purement et simplement la Cisjordanie. Il n’est pas nécessaire d’être un très grand stratège pour déceler dans cette démarche une volonté délibérée de saboter les efforts – fort louables – du président Donald Trump visant à étendre rapidement les accords d’Abraham à de nouveaux pays-clé, dont notamment l’Arabie saoudite, afin d’engager résolument le Moyen-Orient sur la voie d’une paix globale et définitive. Le chef de la Maison Blanche n’a d’ailleurs pas tardé à réagir pour remettre les pendules à l’heure, soulignant (fait sans précédent dans les relations américano-israéliennes) que l’État hébreu perdrait «le soutien des États-Unis» s’il allait de l’avant dans ses velléités d’annexer la Cisjordanie…

On ne peut s’empêcher d’être désemparé face à cette obstination de l’extrême droite israélienne de faire obstruction à la création d’un État palestinien, condition sine qua non à l’instauration d’une paix globale dans la région. Cette même obstination avait d’ailleurs été à l’origine du torpillage du processus d’Oslo, en 1993-1994, et de l’assassinat du Premier ministre travailliste de l’époque Yitzhak Rabin, en novembre 1995. Une double interrogation se pose dans ce contexte avec acuité: jusqu’à quand les jusqu’au-boutistes de l’extrême droite israélienne continueront-ils à bloquer toutes les initiatives de paix sans jamais proposer un plan B rationnel; et jusqu’à quand la société israélienne continuera-t-elle, du fait des blocages de l’extrême droite, à être entrainée chaque quelques années dans une nouvelle guerre, coûteuse à plus d’un égard?

Une telle déraison est également perceptible dans la ligne de conduite de l’autre porte-étendard levantin de l’obscurantisme aveugle: le Hezbollah. Le parti pro-iranien s’obstine ainsi à refuser de remettre ses armes à l’État, prétextant que son arsenal militaire est nécessaire pour «la défense du Liban» face à Israël! En avançant un tel argument – véritable insulte à l’intelligence des Libanais – il occulte le fait que cet arsenal milicien n’a pas pu empêcher la décapitation en quelques jours, en 2024, du haut commandement politique et militaire du parti. De même que l’arsenal en question s’avère totalement inutile et inopérant face au maintien d’une présence israélienne au sud et face aux raids quasi quotidiens de l’aviation contre les fortifications du Hezbollah… Sans compter les liquidations en série de cadres et responsables du parti dans plusieurs régions du pays (plus de 360 cadres tués depuis l’arrêt des hostilités en novembre 2024).

Le summum de l’absurde est toutefois atteint avec la campagne menée par le tandem Hezbollah-Amal contre le gouvernement. Le cabinet Salam est ainsi accusé de laxisme dans la reconstruction des villages détruits durant la «guerre de soutien» lancée il y a deux ans par l’allié des Pasdaran, à l’instigation évidente du régime iranien. Mais tout en se montrant insistant au sujet de cette reconstruction, le Hezb redouble d’efforts dans le même temps pour remettre sur pied son infrastructure militaire et réorganiser les rangs et la hiérarchie de son appareil milicien. Cela nous place devant l’aberrant paradoxe suivant: après avoir réactivé le front du sud, le 8 octobre 2023, sous le prétexte fallacieux de soutenir Hamas, le parti chiite réclame aujourd’hui de l’État la reconstruction de villages qui seront vraisemblablement à nouveau détruits durant la prochaine guerre à laquelle il se prépare dès à présent et qui sera probablement déclenchée dans quelques petites années à la demande du walih el-faqih pour servir les intérêts de la République islamique!

Et ainsi de suite, le Liban peut demeurer indéfiniment otage de ce cercle vicieux imposé par Téhéran manu militari. Sauf que le directoire du Hezb et son parrain régional devront tôt ou tard – bon gré, mal gré – se soumettre au fait accompli et admettre que l’écrasante majorité des Libanais (peut-être aussi au sein même de la collectivité chiite) n’est plus disposée à faire les frais de la guerre des autres sur le territoire national et se montre déterminée, avec l’appui des puissances amies, à réaliser enfin ses aspirations à une paix globale, à la prospérité et au bien-être socio-économique tant attendu...

Commentaires
  • Aucun commentaire