Négociations directes ou indirectes: ce que le Liban peut apprendre de son histoire
©Ici Beyrouth

Dans le sillage du cessez-le-feu à Gaza, négocié le 13 octobre par Donald Trump, le président Joseph Aoun a ouvert une brèche politique inattendue. «L’État libanais a déjà négocié avec Israël sous l’égide des Américains et des Nations unies, ce qui a permis l’accord de délimitation maritime… Alors pourquoi ne pas faire de même pour régler les dossiers en suspens?», a-t-il déclaré dans un communiqué de la présidence. 

Et d’ajouter: «Aujourd’hui, l’atmosphère générale est au compromis, il est nécessaire de négocier. La forme que prendront ces négociations sera déterminée en temps voulu.»

Derrière cette déclaration mesurée se cache une question centrale pour la diplomatie libanaise: comment négocier avec un pays considéré comme ennemi?

Négociations directes et indirectes: quelle différence?

Dans les relations internationales, deux formats dominent les pourparlers entre États: les négociations directes, où les parties dialoguent en face à face. Elles permettent de bâtir une relation politique, mais exigent une reconnaissance mutuelle, ce qui n’est pas le cas entre le Liban et Israël. 

Le deuxième format se décline sous forme de négociations indirectes, dans lesquelles un médiateur sert d’intermédiaire. À l’inverse de la première forme de négociations, celles indirectes offrent un cadre technique ou confidentiel: les délégations ne se parlent pas directement, un tiers – souvent une puissance étrangère ou une organisation internationale – transmet les messages. Ce format permet d’avancer sur des dossiers ciblés tout en contournant les sensibilités politiques internes.

Ce second modèle s’impose souvent quand les pays concernés sont en conflit ou n’ont pas de relations diplomatiques. Le cas du Liban et d’Israël, officiellement en guerre depuis 1948, illustre parfaitement ce recours à des canaux indirects.

L’accord des «Raisins de la colère» (1996)

Parmi les rares précédents de négociation indirecte entre le Liban et Israël figure l’accord de cessez-le-feu du 26 avril 1996, à l’issue de l’opération israélienne «Raisins de la colère». Cet accord, rédigé de manière informelle sous médiation américaine, mit un terme aux affrontements entre Israël et le Hezbollah.

Il stipulait que les deux parties cesseraient de viser des civils et s’interdiraient de lancer des attaques depuis des zones habitées. Un comité de surveillance fut instauré, réunissant des représentants des États-Unis, de la France, de la Syrie, d’Israël et du Liban, chargé de suivre et de discuter des violations de cet accord.

Bien que limité dans ses effets, ce mécanisme multilatéral permit de contenir les tensions dans le sud du pays pendant plusieurs années. En février 2024, plusieurs sources, relayées par Axios, ont indiqué que ce précédent de 1996 servait de référence diplomatique dans les efforts visant à encadrer un nouveau cessez-le-feu entre Israël et les factions palestiniennes à Gaza.

Le précédent de l’accord maritime (2022)

En octobre 2022, après plus de dix ans de médiation américaine, le Liban et Israël ont conclu un accord sur leur frontière maritime, concernant une zone disputée de 860 km carrés en Méditerranée. 

Ces discussions, hébergées par l’ONU à Naqoura, et menées par des émissaires américains, n’impliquaient aucun contact direct entre les deux délégations. Pour l’Atlantic Council, cet accord a évité une guerre potentielle, stabilisé (brièvement) le Liban-Sud, et ouvert la voie à l’exploitation des gisements gaziers – une nécessité vitale pour un Liban en crise.

Côté israélien, il a permis de sécuriser l’exploitation du champ de Karish. Bien que limité à un enjeu technique, cet accord a montré qu’une médiation patiente pouvait débloquer une impasse politique sans passer par la normalisation.

Des précédents directs oubliés

Le Liban a déjà négocié directement avec Israël, notamment lors de l’accord du 17 mai 1983 signé sous médiation américaine après l’invasion israélienne de 1982. Ce traité visait à mettre fin à l’état de guerre et prévoyait un retrait israélien. 

Il fut dénoncé un an plus tard sous la pression de la Syrie et n’a jamais été appliqué. Autre exemple: au début des années 1990, des pourparlers bilatéraux eurent lieu dans le cadre du processus de paix de Madrid. Mais là encore, aucune avancée décisive n’a suivi.

Exemples internationaux

Ailleurs dans le monde, des conflits ont été gérés via des canaux indirects. Les accords d’Oslo (1993) entre Israël et l’OLP ont débuté par des pourparlers secrets en Norvège. 

De même, la Chine et le Vietnam ont fini par conclure un accord maritime en 2000, après des années de tensions, une fois la relation normalisée. Ces cas montrent que, même sans reconnaissance officielle, un processus structuré, basé sur le droit international et la médiation, peut déboucher sur des compromis durables.

Et maintenant?

La voie la plus plausible reste celle de négociations indirectes sur des dossiers ciblés, avec un parrainage international fort – un modèle que l’Atlantic Council décrit comme le plus réaliste dans un contexte d’hostilité persistante.

Comme le note le Jerusalem Center for Public Affairs, ce type de processus ne résout pas tout, mais peut «créer une dynamique régionale de coopération sur des enjeux concrets», comme l’énergie ou la sécurité des frontières. À défaut de paix, une stabilité négociée reste possible.

Récemment, Nabih Berry a confirmé ce virage prudent. Dans un entretien au journal Asharq al-Awsat, le président du Parlement a déclaré que «la proposition de négociation a été écartée car Tel-Aviv n’a pas été réceptif à la suggestion américaine». 

Il a précisé que la seule voie restante était celle du comité supervisant le cessez-le-feu de novembre 2024. Le retour à la diplomatie indirecte est donc clair. Le comité, qui se réunira désormais toutes les deux semaines, devient le principal canal d’échange entre les deux camps. 

On croit éviter la guerre en refusant le dialogue, mais c’est ainsi qu’on en prolonge les causes.

 

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