
Vendredi soir, le prince Andrew, éclaboussé par de multiples scandales, a annoncé renoncer à l’ensemble de ses titres et honneurs royaux, sous la pression conjuguée de son frère, le roi, et de l’héritier du trône, le prince de Galles, William. Principalement accusé de multiples abus sexuels à l’encontre d’une jeune femme de dix-sept ans en 2001, ainsi que d’autres victimes, dans le cadre de son amitié compromettante avec le milliardaire Jeffrey Epstein, il aura fallu près d’une décennie à la famille royale britannique pour se résoudre à agir. Désormais qualifié par la presse locale de «disgraced prince», l’ancien duc d’York se voit dépouillé de son duché et ne sera plus connu que sous le simple titre de prince Andrew. Il est par ailleurs radié de l’Ordre de la Jarretière, la plus ancienne et la plus prestigieuse distinction de chevalerie britannique.
Dans un communiqué publié vendredi par le palais de Buckingham, le prince Andrew a déclaré avoir pris, en concertation avec le roi ainsi qu’avec l’ensemble de sa famille proche et élargie, la décision de renoncer à ses titres et à ses honneurs royaux. Il y affirme que «les accusations persistantes à [son] encontre détournent l’attention du travail de Sa Majesté et de la famille royale» et ajoute avoir choisi, «comme toujours, de placer [son] devoir envers [sa] famille et [son] pays au premier plan». Le prince précise par ailleurs qu’il «nie vigoureusement» les accusations formulées contre lui. Son ancienne épouse, Sarah Ferguson, elle aussi éclaboussée par des scandales liés à ses relations financières avec Jeffrey Epstein, perdra également ses titres et sera désormais connue sous son seul nom. Si le prince Andrew conserve formellement son titre princier en vertu de la «Letter Patent» émise par George V en 1917 et amendée par Elizabeth II en 2012, qui garantit ce statut aux fils et filles des souverains, le titre de duc d’York, bien qu’officiellement non retiré, ne sera plus d’usage. Le roi a en effet choisi d’éviter une procédure parlementaire, nécessaire à un retrait légal, afin de ne pas provoquer une médiatisation supplémentaire. Par ailleurs, le prince s’est retiré de l’Ordre de la Jarretière, la plus haute et ancienne distinction de chevalerie britannique.
Pour comprendre la lente déchéance du prince Andrew, il faut remonter à la fin des années 90, lorsque le fils cadet d’Elizabeth II fait la connaissance du financier américain Jeffrey Epstein, par l’intermédiaire de Ghislaine Maxwell, alors figure mondaine de la haute société britannique. Cette amitié, jugée inappropriée dès l’origine, se transforme en véritable scandale lorsque, en 2001, Virginia Giuffre, âgée de 17 ans, accuse le prince d’avoir eu avec elle des rapports sexuels forcés dans le cadre du réseau d’exploitation d’Epstein. Bien qu’il ait toujours nié ces accusations, la réputation du duc d’York est profondément entachée. En 2008, la première condamnation d’Epstein pour délits sexuels alimente les soupçons, d’autant qu’Andrew maintient des contacts avec lui après sa libération, allant même jusqu’à séjourner dans sa résidence new-yorkaise en 2010, un épisode largement photographié et relayé par la presse.
En 2015, la plainte déposée par Mme Giuffre dans le cadre du procès civil contre Epstein mentionne nommément le prince, provoquant de nouvelles interrogations au sein du palais de Buckingham. En 2019, la diffusion d’un entretien accordé à l’émission Newsnight de la BBC, où Andrew peine à convaincre de son innocence et fait preuve d’un ton jugé désinvolte, achève de ruiner son image publique. Sous la pression de la reine, il se retire alors de toute activité officielle et renonce à ses quelque 230 patronages. En 2021, Mme Giuffre engage une procédure civile contre lui aux États-Unis, finalement réglée à l’amiable en 2022 par un accord financier, sans reconnaissance de culpabilité. Cette même année, contraint par sa mère, il renonce aussi à l’usage du titre d’«Altesse Royale».
Dès son accession au trône en septembre 2022, le roi Charles III adopte un ton résolument plus ferme à l’égard de son frère cadet. Soucieux de se distancer de scandales gênants en début de son règne, le souverain entreprend, pas à pas, de couper les derniers privilèges dont bénéficiait encore le prince Andrew. Dès octobre 2022, il est rapporté que ce dernier ne perçoit plus aucun financement public. Un mois plus tard, la presse révèle qu’il perd également sa protection policière, le roi estimant qu’un membre de la famille royale n’exerçant plus de fonctions officielles ne saurait continuer à jouir de tels avantages. En janvier 2023, une nouvelle étape est franchie: Andrew se voit retirer l’accès à sa suite de pièces au palais de Buckingham, signe d’une mise à l’écart devenue structurelle. Enfin, en août 2024, The Telegraph révèle que Charles III mettra un terme définitif au financement de la sécurité de son frère, le contraignant à prendre en charge lui-même la protection de sa résidence de Royal Lodge à Windsor. Par ces décisions successives, le roi trace une ligne claire: celle d’une monarchie modernisée, désireuse de se démarquer de l’ombre des scandales et d’affirmer une exigence nouvelle de probité au sein de la famille royale.
Mais pourquoi une telle décision maintenant? Sans doute parce que la liste des scandales entourant le prince Andrew semble désormais sans fin. L’amitié de ce dernier avec Jeffrey Epstein, le financier américain condamné pour crimes sexuels sur mineures, refait surface après la révélation d’un email où Andrew lui écrivait, trois mois après avoir prétendu avoir rompu tout contact: «Nous sommes tous deux dans le même bateau.» Une phrase lourde de sous-entendus, qui relance les soupçons d’une connivence persistante. À cela s’ajoutent de nouvelles révélations sur ses liens avec un ressortissant chinois soupçonné d’espionnage, invité à plusieurs reprises dans des résidences royales.
Mais le choix du timing n’a rien d’un hasard. Dès la publication du communiqué de Buckingham Palace, il semblait évident que cette annonce anticipait de nouvelles révélations explosives dont le palais avait été prévenu en avance. Ce week-end, les Sunday papers, traditionnellement riches en exclusivités, ont en effet frappé fort. The Mail on Sunday a publié une série d’emails inédits entre Andrew et Epstein, suggérant que ce dernier aurait présenté au prince une seconde victime présumée. De son côté, le Sunday Telegraph a révélé que le duc d’York aurait demandé à des officiers de la Metropolitan Police de «creuser» sur Virginia Giuffre, son accusatrice, afin de discréditer son témoignage.
Et la tempête ne s’arrête pas là. Le Telegraph rapporte également que Sarah Ferguson, ex-épouse du prince Andrew, aurait emmené leurs deux filles, les princesses Beatrice et Eugenie, rendre visite à Jeffrey Epstein à New York après sa libération de prison en 2009. Des emails divulgués indiquent qu’à cette période, elle aurait sollicité auprès de lui un prêt de 50.000 à 100.000 dollars pour régler des dettes personnelles. Pire encore, des sources proches de l’enquête affirment qu’Epstein aurait financé Sarah Ferguson pendant près de quinze ans, la plaçant ainsi dans une situation de dépendance financière vis-à-vis du milliardaire déchu. À la veille de la parution des mémoires de Virginia Giuffre, prévues mardi, cette avalanche de révélations risquait d’embraser de nouveau la monarchie. En agissant dès maintenant, le roi Charles III semble avoir voulu prévenir la tempête et protéger la Couronne d’un scandale devenu, cette fois, impossible à contenir.
Surtout que, selon plusieurs sources proches du roi, le prince de Galles, William, serait celui qui a exercé la plus forte pression sur son père pour adopter une ligne dure à l’égard du prince Andrew. Connu pour sa fermeté et sa volonté d’incarner une monarchie moderne, exigeante sur les questions d’éthique et d’image, William n’a jamais caché son hostilité à l’idée d’une apparition de son oncle dans la sphère royale. En 2022, il aurait persuadé la défunte reine Elizabeth II d’exclure Andrew des processions de l’Ordre de la Jarretière, menaçant de ne pas y participer lui-même si cette décision n’était pas prise.
Des sources citées par le Sunday Times affirment même que le prince de Galles prévoit, une fois devenu roi, d’écarter définitivement Andrew et son ex-épouse Sarah Ferguson de toute activité officielle ou privée liée à la famille royale. Il ne serait pas convié à son couronnement, et William s’inquiéterait ouvertement du fait que son oncle conserve, d’un point de vue strictement légal, ses titres ainsi qu’une résidence royale, le Royal Lodge, dont le bail, impossible à rompre, court jusqu’en 2078 tant que le loyer est honoré. Pour le futur souverain, Andrew représente une menace persistante et un risque réputationnel majeur pour la monarchie. Il aurait d’ores et déjà fait savoir qu’il entend le tenir à l’écart de tout événement public comme privé, scellant ainsi la marginalisation d’un prince devenu, aux yeux de la Couronne, indéfendable.
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