Comprendre les traités d’extradition à la lumière du dossier Assad
©Ici Beyrouth

Ce mercredi, le président syrien par intérim, Ahmad el-Chareh, se rend à Moscou pour rencontrer l’homme fort du Kremlin, Vladimir Poutine.

Selon Reuters, M. Chareh pourrait y demander l’extradition de l’ancien président syrien, Bachar el-Assad, réfugié en Russie depuis sa fuite de Damas en décembre 2024.

Derrière cet épisode aux airs de revanche politique, se cache un mécanisme de droit international aussi ancien que stratégique: le traité d’extradition, cadre juridique régissant la remise d’un individu poursuivi à l’étranger.

Qu’est-ce qu’un traité d’extradition?

L’extradition est la procédure formelle par laquelle un État remet une personne à un autre État pour qu’elle soit jugée ou purge une peine. Elle repose en général sur un accord bilatéral ou multilatéral précisant les infractions concernées, les conditions et les garanties de la coopération.

Comme le rappelle le Council on Foreign Relations (CFR), cette pratique, connue depuis l’Antiquité, s’est imposée avec la mondialisation des crimes transnationaux (terrorisme, narcotrafic ou cybercriminalité).

Sans traité, la remise dépend uniquement de la volonté politique, d’où la multiplication des accords modernes fixant un cadre clair à ces transferts.

Le contenu et les limites

Les traités récents reposent sur le principe de double criminalité: un individu n’est extradable que si le crime est punissable dans les deux pays. Les textes anciens se limitent à une liste d’infractions comme le meurtre ou le vol à main armée.

Certains motifs peuvent toutefois bloquer la remise: délits politiques, infractions militaires ou risque de peine de mort. Beaucoup d’États refusent aussi d’extrader leurs propres ressortissants, estimant qu’ils doivent être jugés sur leur territoire.

Depuis la fin du XXᵉ siècle, les crimes de guerre et le terrorisme ne bénéficient plus de l’exception politique car la communauté internationale les considère désormais comme des infractions universelles mettant en cause la sécurité collective plutôt que des actes motivés par des opinions politiques.

Une procédure entre justice et diplomatie

En théorie, le pays demandeur transmet un dossier complet (mandats, accusations, preuves). Si la demande est conforme, une arrestation provisoire peut suivre. En pratique, note le CFR, l’extradition dépend souvent du contexte diplomatique.

Aux États-Unis, la décision finale revient au secrétaire d’État: un choix éminemment politique. Ce pouvoir discrétionnaire explique pourquoi certaines extraditions sont retardées, refusées ou négociées selon les relations entre pays.

Des affaires emblématiques

L’ancien patron de Nissan Carlos Ghosn, accusé de fraude au Japon, a fui au Liban en 2019. L’absence de traité entre les deux pays a rendu toute extradition impossible, malgré une notice rouge d’Interpol.

À l’inverse, le narcotrafiquant mexicain Joaquín «El Chapo» Guzmán a été livré aux États-Unis en 2017 après des années de tensions bilatérales, preuve que la coopération sécuritaire peut faire la différence.

Enfin, la Turquie n’a jamais obtenu l’extradition du prédicateur Fethullah Gülen, accusé par Ankara d’avoir orchestré le coup d’État manqué de 2016 et exilé aux États-Unis, faute de preuves suffisantes selon Washington. Dans ces trois cas, la frontière entre droit et géopolitique apparaît manifeste.

Lorsque l’extradition échoue, certains pays recourent à la déportation (qui manque un cadre judiciaire formel) ou choisissent de juger eux-mêmes le suspect, au nom de la compétence territoriale ou nationale. D’autres, comme les États-Unis après 2001, ont pratiqué la rendition, transfert extrajudiciaire souvent critiqué par Human Rights Watch pour ses dérives en matière de droits humains.

Le cas Assad: un test pour le droit international

Dans le dossier syrien, la Russie et la Syrie ne sont pas liées par un traité d’extradition. Moscou pourrait invoquer le caractère politique des accusations pour refuser la remise de Bachar el-Assad, ou encore l’immunité liée à son ancien statut de chef d’État. De plus, la Russie refuse d’extrader vers des pays appliquant la peine de mort ou susceptibles d’infliger des traitements jugés inhumains.

Ainsi, même si Ahmad el-Chareh formule officiellement la demande, un refus de Moscou paraît probable. Une telle affaire mettrait à l’épreuve la frontière entre droit et géopolitique: l’extradition, bien qu’encadrée par des traités précis, reste avant tout un acte souverain soumis aux rapports de force.

Comme le souligne le CFR, un traité d’extradition n’est jamais une garantie de justice, mais un instrument de coopération dont l’efficacité varie selon les intérêts politiques. En définitive, Ahmad el-Chareh peut bien invoquer le droit, citer les traités et brandir la justice internationale: dans les faits, Bachar el-Assad reste protégé par une autre loi, celle du rapport de forces.

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