
Dans le plan de paix cosigné lundi à Charm el-Cheikh par le président américain, Donald Trump, ainsi que par les dirigeants de l’Égypte, du Qatar et de la Turquie, une question cruciale s’impose: comment désarmer le Hamas?
Il faut dire que le plan Trump pose des mots précis sur une réalité brutale: Gaza doit être démilitarisée. Une force de stabilisation devra être créée à cet effet. Sur le papier, la formule paraît simple: rendre les armes, détruire les réseaux souterrains, remplacer l’appareil militaire du Hamas par des forces de police formées et encadrées à l’étranger.
Dans le fond, dès que l’on se penche sur le détail des mécanismes, des rapports de force et des acteurs en jeu, cette apparente clarté se dissout dans une complexité vertigineuse. D’autant plus que le Hamas continue même de refuser une démilitarisation complète et s’est même efforcé de préserver et d’accroître ses capacités en recrutant massivement et en réorganisant ses cellules.
Dans une tentative de décryptage de la déclaration, pour l’application de laquelle se portent garants tant l’Égypte que la Turquie et le Qatar, Ici Beyrouth revient sur les composantes de la mission qui attend la future force internationale de stabilisation. Quelles sont ses marges d’action, ses limites et les scénarios possibles d’un désarmement?
Tel qu’il a été présenté, le projet repose sur trois piliers: le retrait militaire israélien progressif de la bande de Gaza, l’établissement d’un pouvoir transitoire apolitique pour gérer la reconstruction et la mise en place d’une force internationale chargée du désarmement et de la surveillance du non-réarmement.
Cette architecture compte sur des relais régionaux, notamment l’Égypte et la Jordanie, pour former et encadrer des unités amenées à assurer l’ordre une fois la transition engagée. «L’idée d’une force multinationale, avec un volet formation pour la ‘police palestinienne’ et un volet surveillance, pour le contrôle à distance, via des drones par exemple, n’est pas seulement diplomatique, elle est l’essence-même du plan», assure, à Ici Beyrouth, un expert militaire sous couvert d’anonymat.
Le désarmement: entre accord politique et contrainte militaire
Le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU, interrogé par Ici Beyrouth, résume, lui, les fondements politiques et opérationnels de cette équation, tout en soulignant ses limites. Selon lui, «un désarmement ne peut s’opérer que dans le cadre d’un accord». Autrement, il ne reste qu’une seule option, estime-t-il: celle de la confrontation armée. «En l’absence d’entente, la démilitarisation ne peut se faire que par la force», note-t-il.
Désarmer le Hamas n’est donc pas une opération technique, mais un choix éminemment politique, d’une rare violence symbolique pour la formation. Depuis 2007, le mouvement a construit à Gaza une emprise qui n’est pas seulement militaire. Elle est aussi sociale, administrative, idéologique. «Les armes sont un élément de pouvoir, d’honneur et de sécurité dans un territoire où l’État fait défaut. Exiger des commandants qu’ils posent les armes revient à demander à des acteurs de renoncer à leur raison d’être», indique-t-on de source militaire susmentionnée.
Les signes récents en témoignent: malgré les pertes subies, le Hamas a massivement recruté, renforçant ses effectifs même au cœur des hostilités. Selon des rapports de renseignement américains datant de janvier 2025, entre 10.000 et 15.000 nouveaux membres auraient rejoint ses rangs depuis le début de la guerre. Aujourd’hui, et au lendemain du retrait israélien (partiel) de l’enclave, avec la mise en œuvre du plan Trump, une vaste opération de remobilisation a été lancée, quelque 5.000 à 7.000 membres ayant été recrutés par le Hamas.
Les étapes critiques d’un désarmement
«Sur le plan opérationnel, plusieurs séquences doivent être résolues simultanément pour que le désarmement ne reste pas lettre morte», affirme l’expert militaire. Il s’agit, selon lui, d’identifier et de concentrer les caches d’armes et les ateliers de fabrication, de neutraliser les capacités de lancement (roquettes, drones), d’empêcher la reconstruction des tunnels et des galeries et enfin d’instituer une chaîne de contrôle, soit des dépôts sécurisés, soit une destruction supervisée, pour toutes les armes collectées. «Chacune de ces étapes est techniquement exigeante et dangereuse, mais le vrai nœud est politique: qui aura le droit d’entrer dans les maisons, d’ouvrir les caches, de juger et d’incarcérer? Quel mandat pour la force internationale? Qui détient l’autorité légale pour ordonner ces opérations?», s’interroge-t-il.
Si la France œuvre actuellement pour la mise en place d’une résolution dédiée à la création et à l’encadrement de la mission et des prérogatives de la force internationale de stabilisation, le général Trinquand souligne qu’aucune résolution ne peut être réellement efficace tant que le Hamas n’aura pas adhéré à la thèse du désarmement. «Une force de stabilisation ne peut exister qu’une fois qu’il y a accord sur la question», martèle-t-il. Il précise, à cet égard, le rôle strictement opérationnel que cette force pourrait tenir. «Une fois l’accord sur le désarmement officialisé, cette force pourra être créée pour réceptionner, inventorier, stocker et, si nécessaire, détruire les armes», signale-t-il.
De fait, la force internationale de stabilisation envisagée dans le plan consisterait en un contingent composé majoritairement de policiers (environ 5.000 selon un chiffre avancé par le général Trinquand) formés en Jordanie ou en Égypte, épaulés par des capacités de renseignement et de surveillance fournies par d’autres États et visant à donner une couleur «policière» à une opération qui, en réalité, aurait toutes les apparences d’un déploiement paramilitaire.
Marges régionales et scénarios plausibles
Pour l’expert militaire ayant requis l’anonymat, la Jordanie et l’Égypte ont une expérience régionale, des liens culturels et une légitimité relative pour encadrer des forces palestiniennes. Ces pays ont aussi leurs limites d’action au vu, notamment, des contraintes politiques internes et des réticences à un engagement long et coûteux sur le sol palestinien.
Et de poursuivre: «Déployer des policiers est une bonne chose, mais ceux-ci ne remplacent pas une armée lorsqu’il s’agit de neutraliser réseaux souterrains et dépôts d’armes profondément enterrés». La question se pose donc, selon lui, en termes de combinaison des moyens, avec la nécessité d’avoir une police locale formée, de se munir d’un appui logistique et de se faire appuyer par le renseignement international et, potentiellement, la présence temporaire de forces dotées d’une capacité de coercition suffisante pour neutraliser la résistance active.
De fait, plusieurs scénarios, plus ou moins probables, se dessinent, selon les observateurs. Le premier est celui d’une mise en œuvre ordonnée: retrait limité et contrôlé des forces israéliennes, arrivée d’un contingent international avec mandat clair. Ce plan inclurait également la mise en place rapide d’une police palestinienne, sous supervision de la Jordanie, de l’Égypte, de l’Indonésie et d’autres pays, ainsi que la récupération et la destruction vérifiée des arsenaux. Les responsabilités seraient progressivement transférées à un comité technocratique supervisé. «Ce scénario est séduisant, certes, mais requiert une synchronisation quasi parfaite entre pression diplomatique, volonté du Hamas à ne pas infliger de sabotages et garanties pour Israël», souligne le général Trinquand.
Le deuxième scénario, plus pessimiste, voit le Hamas refuser la démilitarisation effective, poursuivre son implantation clandestine et provoquer des affrontements avec les forces internationales ou avec des milices locales, entraînant un retour partiel ou massif de l’armée israélienne pour «nettoyer» les poches de résistance.
La troisième hypothèse combine des éléments des deux précédents: une cohabitation instable, où le Hamas tolère temporairement la technocratie tout en conservant des capacités clandestines et en imposant son influence via des réseaux informels – un risque majeur de violences récurrentes et d’érosion lente de la paix. Les dynamiques internes (familles influentes, groupes criminels, autres factions palestiniennes) peuvent rendre tout plan formel caduc si elles ne sont pas prises en compte, comme le considère l’expert militaire interrogé.
Que peut-on donc proposer pour augmenter les chances de succès? L’expert militaire interrogé par Ici Beyrouth répond. D’abord, un mandat de stabilisation clair et limité dans le temps, mais renouvelable sous conditions précises, assorti d’un mécanisme de reddition de comptes indépendant et doté de pouvoirs judiciaires pour traiter les excès et les violations. Ensuite, la réintégration d’anciens combattants dans des forces locales crédibles, avec incitations économiques et garanties de sécurité, plutôt que leur simple incarcération ou mise à l’écart. Troisièmement, un engagement régional ferme pour tarir les financements et les trafics. Quatrièmement, des garanties concrètes pour Israël, notamment un contrôle partagé du renseignement et des dispositifs d’inspection, mais aussi des garanties pour le peuple palestinien qui ne dispose aujourd’hui d’aucune solution palpable, surtout que, dans ce dossier, le moindre défaut d’exécution entraîne l’effondrement du tout.
Désarmer le Hamas est donc moins un exercice militaire qu’un test de diplomatie et de gouvernance. La force internationale de stabilisation, mais aussi la communauté internationale porte une responsabilité historique: transformer une logique de guerre en processus de reconstruction.
Si elle échoue, ce ne sera pas faute de moyens, mais parce qu’on aura sous-estimé la profondeur des fractures sociales et politiques d’un territoire qui ne vit que sous tension, mais aussi l’absence d’alternative concrète pour un peuple qui continue de subir la propagande idéologique d’un Hamas bien ancré sur le territoire. Les prochains mois diront si Gaza entre enfin dans le temps du contrôle et de la reconstruction, ou si, sous d’autres formes, la loi des armes continuera de dicter sa propre paix.
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