
Le 13 octobre 2025, le ministère de la Santé libanais a annoncé le retrait des bouteilles d’eau Tannourine du marché, à la suite de la détection de la bactérie Pseudomonas aeruginosa, potentiellement dangereuse pour la santé.
Cette nouvelle a provoqué une véritable onde de choc à travers le pays. Tannourine, l’une des marques d’eau en bouteille les plus emblématiques du Liban, a soulevé un enjeu bien plus large: l’eau que nous buvons est-elle sûre, et qu’en est-il de l’industrie qui la met en bouteille?
De la nature à l’usine
Le Liban abrite des centaines de sources naturelles situées en montagne, de Falougha à Tannourine en passant par Sannine, qui alimentent la majorité des marques d’eau embouteillée du pays.
Dans une usine de traitement typique, le processus commence à la source, où l’eau est acheminée vers une station de traitement.
La première étape consiste à filtrer le sable, les feuilles et autres impuretés. Lorsque l’eau provient d’une source souterraine propre, un simple filtrage suffit souvent pour se débarrasser des petites particules. Mais lorsqu’elle est issue d’un puits ou d’une source en surface, des étapes supplémentaires s’ajoutent: filtres à charbon actif, membranes ou osmose inverse pour éliminer minéraux, sels et bactéries.
Enfin, l’eau est désinfectée par lumière ultraviolet (UV) ou ozone, ultime barrière contre les germes avant l’embouteillage.
Des machines automatisées remplissent ensuite les bouteilles dans un environnement stérile. Un simple dysfonctionnement – tuyauterie encrassée, lampe UV défectueuse, manque d’hygiène – peut dans ce cas entraîner une contamination.
C’est apparemment ce qui s’est produit chez Tannourine, dont des échantillons ont révélé la présence de la Pseudomonas aeruginosa.
Eau de source ou eau traitée: que buvons-nous vraiment?
Si vous lisez les étiquettes des bouteilles d’eau libanaises, vous verrez souvent «eau de source» ou «eau traitée». Ces termes se ressemblent, à quelques détails près.
L’eau de source provient d’une nappe souterraine naturelle, souvent en montagne. Elle est légèrement filtrée pour enlever les sédiments, mais reste essentiellement à l’état naturel. Des marques comme Sohat ou Talaya revendiquent cette pureté originelle ainsi qu’une composition minérale spécifique.
L’eau purifiée ou «eau de table», peut, quant à elle, provenir de presque n’importe quelle source: forage, puits, voire réseau municipal. Elle est ensuite traitée artificiellement (osmose inverse, ozone, UV) pour éliminer les impuretés.
Les deux types doivent respecter les normes de sécurité du LIBNOR (Institut libanais de normalisation) et du ministère de la Santé. Notons cependant que leur différence essentielle tient à leur origine: l’une est naturellement pure, alors que l’autre est rendue pure.
Les contrôles du ministère: quels enjeux?
Le ministère de la Santé tient une liste officielle des marques certifiées – naturelles, de source ou de table – y compris Sohat, Tannourine ou Talaya.
Dans le but de demeurer dans la liste, les entreprises doivent régulièrement soumettre des échantillons pour analyse microbiologique, notamment pour détecter la Pseudomonas aeruginosa. Sa présence révèle par conséquent une défaillance du processus de désinfection ou une contamination après traitement. C’est exactement cela qui a entraîné la suspension et le rappel de Tannourine.
Le ministère a promis de poursuivre les contrôles sur les autres marques et de ne réautoriser la marque qu’une fois le problème entièrement résolu.
Une industrie massive et des standards inégaux
L’industrie libanaise de l’eau embouteillée est plus vaste qu’on ne le pense. Selon un rapport de la Blominvest Bank (2016), elle compterait plus de 50 usines agréées à travers le pays.
Le secteur se divise entre: les eaux naturelles de source (Sohat, Rim, Talaya, Sannine), et les eaux traitées, souvent produites par de petites usines locales qui utilisent des systèmes de purification plutôt que des sources de montagne.
Plus de la moitié des embouteilleurs agréés produisent de l’eau traitée. Cette dernière est moins coûteuse, mais nécessite une bonne hygiène et une maintenance impeccable des systèmes.
Sans changement régulier de filtres, tuyaux stérilisés et électricité continue pour la désinfection, les bactéries prolifèrent rapidement. Les coupures de courant, les équipements obsolètes et le manque de supervision rendent donc le contrôle qualité très aléatoire.
Pourquoi ces contaminations et comment les prévenir?
Les experts identifient plusieurs causes récurrentes:
- Réservoirs ou tuyauteries mal nettoyés
- Coupures d’électricité interrompant la désinfection UV ou ozone
- Manque d’hygiène lors du remplissage ou de la fermeture des bouteilles
Une fois apparues, les bactéries comme la Pseudomonas se multiplient rapidement, surtout dans des entrepôts chauds et humides.
Les fabricants les plus rigoureux appliquent la méthode HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Points, ou Analyse des dangers et points essentiels pour les maîtriser), surveillant chaque étape, de la source à la mise en rayon. Certains publient même leurs rapports de laboratoire et disposent d’une certification ISO 22000 sur la sécurité alimentaire.
Ce que les consommateurs peuvent faire
La vigilance reste la meilleure protection:
- Lire les étiquettes: source, date d’embouteillage, fabricant.
- Conserver les bouteilles à l’abri de la chaleur et de la lumière.
- Suivre les avis et mises à jour du ministère de la Santé.
- Ne jamais boire une eau dont l’odeur ou le goût semblent étranges; même si la bouteille est scellée, elle peut se détériorer si elle est mal rangée.
Un système sous pression
Le rappel de Tannourine pourrait n’être qu’un incident isolé, mais il révèle des failles profondes dans tout le secteur de l’eau. Dans un pays où l’eau du robinet est souvent impropre à la consommation, l’eau en bouteille est devenue un bien essentiel.
Mais la sécurité d’une eau potable dépend autant de la pureté naturelle des sources que de la rigueur humaine tout au long du processus. De la montagne libanaise jusqu’à votre verre, il suffit d’un seul filtre négligé, d’un nettoyage mal effectué ou d’une coupure de courant pour transformer la pureté en crise sanitaire.
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