
Le président syrien par intérim, Ahmad el-Chareh, se rendra à Moscou le 15 octobre pour participer au sommet Russie-Ligue arabe, selon la chaîne Al-Hadath.
Il s’agira du premier déplacement de ce niveau entre le chef du nouveau pouvoir à Damas et le Kremlin. Cette visite intervient alors que plusieurs dossiers sensibles restent en suspens entre les deux pays: avenir des bases militaires russes en Syrie, dettes contractées sous Bachar el-Assad, investissements économiques annulés, ainsi que le rôle de Moscou dans la région.
Un enjeu de survie
La présence militaire russe en Syrie repose sur deux piliers: la base aérienne de Hmeimim, dans la province de Lattaquié, et le port de Tartous, seul accès naval permanent de Moscou sur la Méditerranée.
Selon le think tank américain Council on Foreign Relations (CFR), ces installations sont cruciales pour projeter la puissance russe au Levant et en Afrique, servant de relais logistique pour ses opérations en Libye et au Sahel. Leur remise en cause représenterait un revers stratégique majeur pour Vladimir Poutine.
Mais si ces installations restent essentielles pour le Kremlin, Damas ne souhaite pas reconduire les conditions avantageuses accordées par Bachar el-Assad. Reuters rapporte à ce sujet que le nouveau pouvoir exige une renégociation des baux, en échange de compensations et de garanties.
Pour l’heure, Moscou conserve une présence, mais sous stricte surveillance: les autorités syriennes escortent les convois russes et contrôlent les entrées des sites.
Les dettes et les compensations
La dimension économique est un autre point de friction. D’après le think tank américain Carnegie Endowment, la Syrie d’Ahmad el-Chareh cherche à annuler ou à renégocier les dettes contractées envers Moscou, tout en demandant réparation pour les destructions causées par des années de frappes russes. Le ministère syrien des Finances a évalué la dette extérieure entre 20 et 23 milliards de dollars, une part substantielle étant due à la Russie.
À la fin de janvier 2025, lors d’une rencontre entre des responsables syriens et l’envoyé russe Mikhaïl Bogdanov, Damas a exigé l’effacement de créances et la restitution de fonds supposément déposés en Russie par Bachar el-Assad.
Moscou a nié l’existence de ces avoirs, mais la question reste épineuse. Pour le Kremlin, céder à ces demandes reviendrait à reconnaître sa responsabilité dans la dévastation syrienne, un précédent politiquement dangereux.
Investissements et commerce
Sous Bachar el-Assad, les entreprises russes étaient présentes dans des secteurs clés (énergie, infrastructures, construction). Mais dès 2025, le nouveau gouvernement syrien a progressivement annulé ces contrats: la gestion du port de Tartous a été confiée à Dubai Ports World, l’impression de la monnaie syrienne a été transférée à l’Allemagne et aux Émirats, et les paiements à des firmes russes impliquées dans des usines de traitement des eaux ont été suspendus.
Si Moscou a tenté de relancer ses exportations de pétrole et de blé vers la Syrie, la réintégration imminente de Damas au système SWIFT réduit la viabilité de ces échanges. Les sanctions occidentales contre la Russie rendent la coopération financière risquée pour un pays qui cherche à normaliser ses relations avec les États-Unis et l’Union européenne. La reprise de contacts avec l’Allemagne, la levée des sanctions occidentales au printemps 2025 et le soutien des monarchies du Golfe à la reconstruction poussent la Syrie vers d’autres partenaires.
Entre hostilité historique et rapprochements tactiques
Le ressentiment des factions islamistes syriennes envers la Russie reste vif. Comme le rappelle le Carnegie Endowment, ces factions n’ont pas oublié les bombardements russes des années 2015-2023, grâce auxquels le régime de Bachar el-Assad a pu se maintenir en place. Pourtant, le contexte régional pousse Damas à rétablir ses liens avec Moscou.
Les affrontements avec les druzes à Soueïda et les frappes israéliennes contre les forces syriennes ont convaincu le gouvernement syrien de reconsidérer le rôle de la Russie comme contrepoids potentiel face à Israël.
Ainsi, en août, la Syrie a autorisé le retour de patrouilles militaires russes à Qamishli, puis envisagé leur déploiement dans le sud du pays. Selon Reuters, Moscou a proposé une coopération renforcée, incluant la révision des anciens accords et la garantie de sécurité pour ses bases. La Russie pourrait de nouveau servir de tampon, comme à l’époque de Bachar el-Assad, en freinant certaines opérations israéliennes sans toutefois s’y opposer frontalement.
Les équilibres régionaux
La relation russo-syrienne dépend désormais largement de facteurs extérieurs. D’après le CFR, la Turquie, principal soutien du nouveau pouvoir syrien, pourrait tolérer la présence russe pour contrebalancer les États-Unis et Israël, mais cette attitude reste pragmatique et réversible.
Pourtant, les monarchies du Golfe, devenues principaux bailleurs de Damas, n’ont aucun intérêt à renforcer Moscou, tout comme l’Occident qui pousse à un rapprochement syro-israélien sous l’égide de Washington.
En outre, la guerre en Ukraine continue de limiter les moyens militaires et financiers de la Russie. Comme l’explique le Carnegie Endowment, Moscou reste trop accaparé pour engager des ressources massives en Syrie, ce qui réduit son attractivité comme partenaire stratégique.
Un partenariat en suspens
À l’approche du sommet Russie-Ligue arabe prévu en octobre 2025 à Moscou, auquel Vladimir Poutine espère voir participer Ahmad el-Chareh, les deux pays entretiennent une relation ambiguë, faite de méfiance et de calculs.
Pour Damas, il s’agit d’obtenir des concessions, une assistance militaire limitée et une reconnaissance diplomatique supplémentaire, sans retomber dans une dépendance.
Pour Moscou, le défi est de sauver ses bases, de préserver un rôle régional et d'éviter que sa décennie d’investissement militaire et politique en Syrie ne se solde par un échec total.
Le Kremlin a encore des cartes à jouer en Syrie, mais devra offrir quelque chose en retour pour maintenir ses positions. La relation russo-syrienne, autrefois fondée sur la loyauté de Bachar el-Assad, est désormais un équilibre précaire, dicté par le pragmatisme et la compétition entre puissances au Levant.
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