Le Proche-Orient et les impasses institutionnalisées
©Ici Beyrouth

À regarder de près la situation qui prévaut au Proche-Orient, on se demande s’il y a possibilité de pouvoir débloquer un contexte verrouillé à moins d’en finir avec la capacité résiduelle de la politique de puissance iranienne, et de mettre fin aux élucubrations de son éventuel retour sur la scène qu’elle a contrôlée pendant plus de deux décennies. Le pouvoir iranien tente désespérément de renverser la dynamique des “plateformes opérationnelles intégrées” pulvérisée suite à la guerre du 7 octobre 2023. Le régime iranien n’ayant plus d’autre alternative que d’institutionnaliser le chaos, de susciter les guerres civiles et d’entretenir un climat d’incertitudes indéfiniment prolongé. L’administration américaine essaye par la diplomatie bilatérale de dénouer les écheveaux afin de paver la voie à un règlement d’ensemble qui mettrait fin à des dynamiques conflictuelles en état d’engendrement continu depuis huit décennies. 

Les limites de la diplomatie s’avèrent de plus en plus probantes et l’hypothèse d’une reprise de la guerre est désormais inévitable. Il n’est plus question de laisser le champ libre à la politique iranienne et de différer les seuils de tolérance. Les États-Unis se sont efforcés de court-circuiter la politique de sabotage iranienne par tous les moyens sans résultat. Les projections guerrières du régime iranien sont les gages de sa survie alors que ses échecs internes tournent au drame, après l’état de pénurie de l’eau potable et l’impératif d’évacuer une ville de 9 300 000 habitants déclarée par le président de la République. Cette situation tragique ne fait qu’illustrer les échecs lamentables dans la gestion des ressources et de la gouvernance dans son ensemble. La région fait face à des tournants et des choix fatidiques vis-à-vis des défis alternatifs posés par le régime iranien et les islamismes sunnites qui font état des impasses mortelles de la modernité arabe et islamique. 

Les États du Levant servent de champs de déploiement à des politiques qui ont détruit la région et créé les conditions nécessaires à la perpétuation de ces dynamiques conflictuelles. Les cas respectifs du Liban, de la Syrie et de Gaza sont suffisamment instructifs pour nous renseigner sur les enjeux conflictuels en cours et leurs possibilités de dénouement. 

Le Liban a renoué avec son statut d’otage de la politique iranienne par une politique de renoncement intentionnelle actée par le nouvel exécutif qui doit son pouvoir à la contreoffensive israélienne et aux nouvelles équations qu’elle a propulsées au devant de la scène moyen-orientale. Il a fallu la défaite cuisante du Hezbollah, l’intermédiation salutaire de la diplomatie américaine pour lever les hypothèques institutionnelles et arbitrer une trêve qui devrait, selon toute présomption, mettre fin à l’état de guerre, aux extraterritorialités militaires et politiques, et impulser une dynamique de normalisation qui permettrait la reconstruction. 

Le pouvoir exécutif se désengage des stipulations, redonne au Hezbollah la possibilité de se reconstituer, de refaire son arsenal, et relance une politique de sabotage qui vise doublement les équilibres internes et la sécurité de l’État israélien. La stratégie du Hezbollah étant basée sur un prédicat de base : la déstabilisation du Liban et la mainmise sur le pouvoir sont les accès nécessaires à la politique iranienne qui compte réinvestir la scène proche-orientale via les politiques putschistes et les conflits par procuration. Le pouvoir nouvellement en charge se prête à la manœuvre pour des considérations idéologiques, de peur et de complicité avérée avec le Hezbollah. 

La diplomatie américaine s’étant employée à desserrer l’étau a été doublement flouée, en faisant confiance à l’équipe en place, et en minimisant les chances d’aboutissement d’une politique iranienne de revanche. Entre-temps le Hezbollah était en voie de récupération moyennant une politique de réarmement, l’indolence d’un pouvoir sans consistance propre, et une stratégie de réinvestissement dans l’administration publique et sécuritaire consentie par un gouvernement et une présidence complices. Le Liban se retrouve une nouvelle fois devant des choix salomoniques, soit réaffirmer sa souveraineté de manière indiscutable ou entrer dans une dynamique de décomposition qui remettra en cause son existence et ses choix politiques fondateurs. La reprise de la guerre qui n’a jamais discontinué scellera des ruptures et des remaniements géopolitiques irréversibles. 

La Syrie entre dans une dynamique historiquement inédite que ce pays n’a jamais connue depuis son accès à l’existence en 1920. Elle n’a d’autre chance d’exister que sous la tutelle des États-Unis, tant au niveau des arbitrages des différends stratégiques au sein de la Syrie, de l’aménagement des enjeux stratégiques avec Israël, de l’endiguement des politiques de subversion iranienne et turque et de la reconstruction d’un pays en ruine. L’influence américaine se déplace des marges de l’est de la Syrie au point de convergence d’une fiction géopolitique entièrement renouvelée. C’est à ce prix-là que la normalisation de la Syrie s’effectuera, et que le statut du nouveau pouvoir en place va pouvoir être reconnu par la communauté internationale.

 Les États-Unis se portent garant de l’intégrité territoriale d’un pays où toutes les composantes peuvent faire valoir leurs droits dans le cadre d’un État de droit, et où les engagements sécuritaires auprès des États du voisinage gagneraient en crédibilité. C’est à ce prix-là que la stabilisation des frontières peut se soustraire aux aléas sécuritaires posés par les impérialismes musulmans en état de choc frontal. La dynamique est complexe par les enchevêtrements et par les défis qu’elle pose, mais elle est la seule à pouvoir soustraire cette région de ses impasses historiques suscitées par l’impérialisme niveleur des islamismes, toutes variantes comprises, et par l’héritage lourd de l’ethos tribal et de ses modèles de gouvernance et son inaptitude à des conversions démocratiques. 

La situation à Gaza, suite au dénouement de la crise des otages, bute sur le maintien de l’hypothèque idéologique et stratégique représentée par le Hamas et par la militance palestinienne dans la multitude de ses modulations. La défaite du Hamas et l’ampleur des dévastations de sa stratégie nihiliste qui fait fi de toutes les considérations humanitaires occasionnées par la politique de la victimisation délibérée, des boucliers humains et de l’instrumentalisation des cadres urbains semblent perdurer. 

Après avoir signé l’accord de trêve, le Hamas revient sur ses engagements quant à la démilitarisation, la retraite de la scène politique et le renoncement à la gouvernance du district. Il tente de déjouer la gouvernance internationale que l’administration américaine cherche à formaliser auprès des Nations Unies. La négociation américaine avance tous azimuts en cherchant à faire valider leur démarche par le Conseil de sécurité, en cooptant l’Autorité palestinienne et en définissant les règlements de l’engagement politique. 

La politique des massacres intentionnels du Hamas à l’endroit de tous ses opposants et sa volonté de saboter la dynamique de paix inaugurée par la trêve laissent peu de marge à la diplomatie et ouvrent de nouveau la voie à la guerre. Nous faisons face à l’obstructionnisme iranien et à ses clones tant idéologiques que stratégiques, et les acteurs de la voie alternative pilotée par les États-Unis sont sommés de répondre au défi alors que la voie diplomatique se rétrécit au profit de la guerre.

Il y a lieu de s’interroger sur les chances d’un règlement négocié avec un régime iranien qui sabote de manière systématique toute démarche de paix et œuvre inlassablement à l’institutionnalisation du chaos, impulse les guerres civiles et instrumentalise les radicalismes islamiques. Le changement des rapports de force est vraisemblablement la meilleure voie vers une paix durable et un changement ultimement requis de culture politique dans un monde musulman en proie aux totalitarismes. C'est un contexte où l’obscurantisme et les tendances belliqueuses constituent la trame d’une culture du conflit sans issue.

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