
Leqembi, premier traitement anti-Alzheimer validé en Europe, incarne une percée scientifique autant qu’un pari risqué. Entre espoir fragile, effets secondaires préoccupants et accès restreint, la promesse d’un tournant thérapeutique doit être regardée avec prudence.
Après des décennies de recherche et de fausses promesses, l’arrivée de Leqembi (lecanemab) marque un tournant symbolique dans la lutte contre Alzheimer. Développé par les laboratoires Eisai et Biogen, cet anticorps monoclonal vient d’être approuvé dans l’Union européenne pour le traitement des formes précoces d’Alzheimer. Pour la première fois, un médicament vise à ralentir la progression de la maladie, et non plus seulement à en atténuer les symptômes. Mais peut-on vraiment parler de révolution?
Un espoir encadré
Leqembi cible les plaques amyloïdes, ces dépôts anormaux de protéines qui s’accumulent dans le cerveau et sont soupçonnés d’accélérer la dégénérescence neuronale. Il est administré par perfusion toutes les deux semaines, chez les patients souffrant d’un trouble cognitif léger ou d’une démence légère, et dont la présence d’amyloïde a été confirmée par des examens spécifiques.
L’autorisation européenne, accordée en avril 2025, s’applique uniquement à un sous-groupe de patients: ceux qui n’ont pas deux copies du gène ApoE4, facteur de risque connu d’effets secondaires graves. Cette prudence s’explique par les risques d’anomalies cérébrales (ARIA: œdèmes ou micro-saignements) relevés lors des essais cliniques, en particulier chez les porteurs «double» de ce gène.
Côté efficacité, il faut rester mesuré. Lors de l’essai international Clarity AD, Leqembi a permis de ralentir la progression du déclin cognitif chez les patients traités par rapport au placebo: la différence observée, mesurée sur une échelle spécialisée (CDR‑SB), s’établit à environ 27% sur 18 mois. Autrement dit, le traitement ne guérit pas Alzheimer, ni ne stoppe la maladie, mais il freine sa progression chez un public bien ciblé. Cette différence, bien que statistiquement significative, reste modeste dans son impact au quotidien pour de nombreux patients et familles.
La première commercialisation a eu lieu en Autriche et en Allemagne, où la demande d’accès au traitement est forte. Mais la prescription de Leqembi reste strictement encadrée: elle nécessite des examens pour confirmer la présence d’amyloïde, des IRM régulières pour surveiller d’éventuelles complications et un suivi rapproché.
Un progrès, mais loin d’un miracle
Les effets secondaires constituent le principal point de vigilance. Les études rapportent des cas d’œdèmes cérébraux ou de microhémorragies chez une proportion notable de patients (jusqu’à 13% pour l’ARIA-E), ainsi que des réactions à la perfusion et, plus rarement, des cas plus graves ayant nécessité l’arrêt du traitement. Le profil de tolérance justifie la surveillance renforcée imposée par les autorités de santé.
De plus, Leqembi s’adresse uniquement aux patients à un stade très précoce de la maladie: il n’est pas indiqué pour les formes modérées ou avancées. L’identification des bénéficiaires repose sur des outils de diagnostic sophistiqués, peu disponibles dans certains systèmes de santé. Le coût du traitement, non encore fixé partout, risque également de limiter l’accès à court terme.
Malgré ces réserves, l’arrivée de Leqembi marque une avancée: c’est la première fois qu’une autorité européenne reconnaît un médicament capable d’agir sur un mécanisme central d’Alzheimer. Cela redonne espoir à la recherche et ouvre la voie à d’autres thérapies ciblées.
Mais la prudence reste de mise. De nombreux experts insistent sur la nécessité de poursuivre les recherches, d’affiner le diagnostic précoce et de ne pas négliger l’accompagnement global des malades. Leqembi n’est ni un miracle, ni une solution pour tous, mais une étape prometteuse vers une meilleure compréhension et un meilleur contrôle de cette maladie complexe.
Pour les patients concernés, l’espoir existe. Pour la société, le combat contre Alzheimer se poursuit, porté à la fois par la prévention, l’accompagnement humain et l’innovation médicale.
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