Colostrum, le lait (si) précieux du nouveau-né
Le colostrum, ce premier lait maternel, protège le bébé dès la naissance. ©Shutterstock

Mal connu, parfois rejeté, le colostrum est pourtant le tout premier lait maternel, essentiel à la santé du nouveau-né. Fruit d’un programme international croisant biologie et anthropologie, sa redécouverte bouleverse nos certitudes sur l’allaitement et la transmission de la vie.

Le colostrum, un mot qui sonne presque mystérieux, évoque un héritage oublié. Il s’agit tout simplement du tout premier lait maternel, sécrété dans les premiers jours qui suivent la naissance, avant que le lait mature ne prenne le relais. Produit en petite quantité, ce fluide doré regorge de vertus pour le nouveau-né, apportant anticorps, enzymes, facteurs de croissance et nutriments essentiels. Pourtant, le colostrum reste sous-utilisé et entouré de croyances tenaces dans de nombreuses sociétés à travers le monde.

Depuis 2013, un programme scientifique inédit nommé COLOSTRUM mobilise des équipes de chercheurs dans sept pays répartis sur quatre continents, de la France au Burkina Faso, du Brésil au Cambodge. Cette initiative vise à croiser le regard des biologistes, des anthropologues et des soignants sur ce premier lait, en explorant aussi bien ses effets biologiques que les représentations sociales qui l’entourent. Derrière les propriétés médicales désormais bien établies du colostrum, se cachent aussi des enjeux culturels et symboliques.

Du point de vue biologique, ses bénéfices sont aujourd’hui largement reconnus. Riche en immunoglobulines et en anticorps, le colostrum agit comme un premier vaccin pour le bébé, renforçant son système immunitaire et le protégeant des infections. Il favorise également la maturation de l’intestin, tapisse les muqueuses de barrières protectrices, facilite la colonisation du microbiote par des bactéries bénéfiques et apporte une énergie précieuse au tout-petit à l’heure où chaque calorie compte. De plus en plus d’études soulignent l’impact du colostrum sur la mise en place du microbiote intestinal: ces premières bactéries jouent un rôle clé dans la prévention de certaines allergies, maladies métaboliques ou même l’obésité à long terme. Certains chercheurs parlent aujourd’hui du colostrum comme d’un «architecte invisible» de la santé future.

Chez les bébés prématurés, le colostrum prend une dimension vitale. En néonatologie, il est parfois appelé «goutte d’or», tant il contribue à protéger leur intestin, à prévenir des maladies graves comme l’entérocolite nécrosante et à renforcer leurs défenses immunitaires. Dans certains pays, des services hospitaliers s’organisent pour recueillir et donner ce précieux fluide aux nouveau-nés les plus fragiles, et quelques banques de colostrum voient le jour pour répondre aux situations où la mère ne peut pas en fournir elle-même.

Colostrum et croyances

Pourtant, la réalité sur le terrain révèle de nombreuses nuances. Dans beaucoup de pays, l’allaitement dès la naissance n’est pas la règle et la mise au sein précoce, qui garantit l’accès au colostrum, demeure rare. Les chiffres recueillis par le programme COLOSTRUM sont parfois édifiants. En France, seuls 16% des prématurés reçoivent effectivement du colostrum, même lorsque les mères souhaitent allaiter. Dans les zones rurales ou certains pays africains et asiatiques, la situation se complique encore davantage.

Au cœur de cet écart entre connaissances et pratiques, on trouve la méconnaissance, mais aussi la persistance de croyances et de tabous. Dans plusieurs cultures, le colostrum est perçu comme un liquide impur, trop concentré ou nocif pour le bébé. Beaucoup le jugent sale, vieux, trop lourd. Il arrive donc qu’on le jette ou qu’on le remplace par de l’eau, des décoctions ou du lait animal, en attendant l’apparition d’un lait blanc jugé plus «pur». Ces représentations, transmises de génération en génération, sont souvent renforcées par un manque d’information, une absence de soutien à l’allaitement et des pratiques hospitalières inadaptées. Même dans les maternités modernes, la médicalisation de la naissance, le manque de protocoles adaptés, ou la séparation mère-enfant après une césarienne, limitent encore l’accès au colostrum.

Ce constat n’en est que plus frappant lorsque l’on sait que la plupart des mères souhaitent donner le meilleur à leur enfant. Derrière l’enjeu biologique, le don du colostrum est aussi un geste de transmission: il favorise le lien d’attachement, le contact peau à peau, la sécrétion d’ocytocine – l’hormone dite de l’amour – bénéfique pour la mère comme pour le bébé. Pour préserver ce trésor, chercheurs et organisations de santé publique recommandent de former les professionnels, de faciliter la collecte et la distribution du colostrum, de sensibiliser les familles dans chaque contexte culturel et de garantir l’hygiène lors de l’expression.

L’enjeu reste immense. Chaque goutte donnée représente une chance de plus pour un nouveau-né de démarrer sa vie sous le signe de la santé et de la protection. Derrière ce geste d’allaitement précoce, c’est un pacte de confiance entre générations, entre science et tradition, et surtout entre la mère et l’enfant, qui se joue.

 

 

Commentaires
  • Aucun commentaire