DMLA, rétinite pigmentaire: une molécule oubliée pourrait rendre la vue
Des chercheurs américains ont découvert que le disulfirame, prescrit depuis des décennies contre l’alcoolisme, peut restaurer partiellement la vision chez des souris atteintes de pathologies rétiniennes dégénératives. ©Shutterstock

Un traitement oublié de l’alcoolisme pourrait redonner espoir à des millions de personnes atteintes de cécité dégénérative. Des chercheurs américains ont découvert que le disulfirame, connu sous le nom d’Antabuse, améliore la vision de souris presque aveugles.

Perdre la vue à cause d’une maladie de la rétine, comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) ou la rétinite pigmentaire (RP), a longtemps été considéré comme irréversible. Pour les patients concernés, les traitements disponibles se limitent à ralentir la progression de la maladie, sans jamais restaurer la vision. Mais une étude publiée en 2022 dans la revue Science Advances a bouleversé cette certitude: un vieux médicament prescrit depuis des décennies contre l’alcoolisme, le disulfirame, pourrait rouvrir la voie de la lumière.

Le disulfirame, commercialisé sous le nom d’Antabuse, est connu pour son action dissuasive: lorsqu’il est associé à la consommation d’alcool, il provoque des effets désagréables comme des bouffées de chaleur, des nausées ou des palpitations. Son mode d’action semblait n’avoir aucun lien avec la vision. Pourtant, des chercheurs de l’Université de Rochester, de l’UC Berkeley et de l’UC Santa Barbara ont montré qu’il pouvait partiellement restaurer la capacité visuelle chez des souris atteintes de dégénérescence rétinienne avancée.

Le mécanisme mis en évidence est fascinant. Normalement, lorsque les photorécepteurs – ces cellules sensibles à la lumière situées dans la rétine externe – disparaissent, la rétine interne se dérègle. Privée de ses signaux normaux, elle se met à générer un «bruit» électrique constant qui brouille les messages visuels avant même qu’ils n’atteignent le cerveau. Résultat: même les rares signaux encore transmis par des photorécepteurs survivants se perdent dans ce chaos.

C’est précisément ce bruit que cible le disulfirame. En bloquant une voie biochimique qui alimente cette activité parasite, le médicament réduit la cacophonie neuronale et permet aux signaux visuels de circuler plus clairement. Dans les expériences menées, des souris presque aveugles, incapables de distinguer des formes simples, ont soudain retrouvé la capacité de percevoir des images après traitement. Pour les chercheurs, la scène fut saisissante: «C’est comme si on avait retiré un brouillard qui masquait les derniers éclats de lumière», résume l’un des auteurs.

Une piste inattendue, mais la prudence s’impose 

L’annonce a immédiatement suscité un immense intérêt, car la DMLA et la rétinite pigmentaire représentent deux causes majeures de cécité dans le monde. Rien qu’en Europe, plus de 200.000 personnes perdent chaque année la vue à cause de ces pathologies. Un médicament déjà connu, déjà disponible et relativement peu coûteux pourrait, s’il s’avère efficace chez l’humain, changer radicalement la donne.

Mais la prudence s’impose. L’étude n’a pour l’instant été menée que sur des modèles animaux. Aucun essai clinique n’a encore validé l’effet du disulfirame sur des patients. De plus, la molécule présente un inconvénient majeur: ses effets secondaires sont graves si elle est associée à la consommation d’alcool. Cela limite d’emblée son usage en traitement chronique pour des populations âgées, chez qui l’abstinence n’est pas toujours garantie.

Les chercheurs voient cependant plus loin. Le véritable enjeu est moins de prescrire le disulfirame lui-même que de comprendre son mécanisme d’action pour concevoir de nouvelles molécules ciblant le même chemin biochimique, mais sans les risques indésirables. «Nous avons ouvert une porte thérapeutique totalement inattendue», explique Machelle Telias, chercheuse principale de l’étude. «À partir de là, il devient possible d’imaginer des médicaments plus sûrs qui pourraient réellement restaurer la vision de patients autrefois considérés comme incurables.»

Cette découverte illustre un phénomène de plus en plus fréquent en recherche biomédicale: le repositionnement de médicaments existants. Plutôt que de développer de nouvelles molécules – un processus long et coûteux –, les scientifiques explorent le potentiel de traitements déjà approuvés pour d’autres indications. Dans ce cas précis, une molécule associée à l’alcoolisme pourrait devenir une alliée contre la cécité.

Les perspectives sont considérables. Si les futurs essais cliniques confirment l’efficacité du traitement, il pourrait s’agir de la première thérapie capable non seulement de ralentir, mais aussi de restaurer partiellement la vision dans des cas avancés de dégénérescence rétinienne. Un horizon longtemps impensable pour les malades et leurs familles.

En attendant, les équipes de recherche préparent la suite: concevoir de petites études cliniques sur des patients atteints de DMLA ou de rétinite pigmentaire avancée mais pas totale, afin d’évaluer la tolérance, l’efficacité et les doses optimales. Le chemin sera long, mais l’espoir renaît.

Comme souvent en science, la découverte est née d’une intuition inattendue: explorer un vieux médicament à la réputation austère pour traiter une pathologie sans lien apparent. Et si l’avenir de la vision se cachait dans une pilule inventée il y a plus de 70 ans pour dissuader de boire?

 

Ce qu’il faut retenir

-  Un vieux médicament, le disulfirame (Antabuse), utilisé contre l’alcoolisme, a montré qu’il pouvait restaurer partiellement la vision chez des souris atteintes de dégénérescence rétinienne.

-  Le traitement agit en réduisant le «bruit» neuronal qui brouille les signaux visuels quand les photorécepteurs meurent.

-  L’effet n’a été observé que chez l’animal: aucun essai clinique humain n’a encore été mené.

-  Les chercheurs espèrent développer de nouvelles molécules plus sûres inspirées de ce mécanisme, afin de traiter la DMLA et la rétinite pigmentaire, deux causes majeures de cécité.

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