Le pacte de défense saoudo-pakistanais redéfinit les équilibres régionaux
Le Premier ministre pakistanais, Shehbaz Sharif, avec le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, à Riyad, où le pacte de défense a été signé. ©SPA / AFP

Mercredi, l’Arabie saoudite et le Pakistan ont scellé un accord stratégique de défense mutuelle, stipulant que toute agression dirigée contre l’un des deux pays serait considérée comme une agression contre les deux. L’officialisation de cet accord a eu lieu à l’occasion de la visite d’État du Premier ministre pakistanais, Shehbaz Sharif, à Riyad, où il a été reçu par le prince héritier, Mohammed ben Salmane. Les autorités ont présenté ce partenariat comme un tournant majeur dans une coopération sécuritaire qui s’inscrit sur plusieurs décennies.

«Cet accord est l’aboutissement de plusieurs années de discussions. Il ne s’agit pas d’une réponse à des pays ou à des événements spécifiques, mais de l’institutionnalisation d’une coopération ancienne et profonde entre nos deux pays», a déclaré à l’agence Reuters un haut responsable saoudien.

La signature de cet accord intervient dans un contexte de tensions accrues au Moyen-Orient. Elle fait suite à une frappe aérienne israélienne à Doha ayant entraîné la mort de dirigeants du Hamas, l’un de plusieurs événements récents mettant en lumière la vulnérabilité des capitales du Golfe face à l’instabilité régionale. Les analystes soulignent que l’Arabie saoudite, longtemps dépendante des États-Unis comme principal garant de sa sécurité, cherche de plus en plus à diversifier ses partenariats en matière de défense.

Selon un communiqué conjoint publié par l’Agence de presse saoudienne, l’accord reflète l’engagement commun des deux nations à approfondir leurs liens en matière de sécurité et à renforcer la dissuasion «contre toute agression». Publiquement, aucun des deux gouvernements n’a diffusé le texte complet du traité, laissant dans l’incertitude des détails clés tels que les conditions de déclenchement du pacte, la chaîne de commandement pour une réponse conjointe, ou encore l’éventuelle inclusion implicite de l’arsenal nucléaire pakistanais dans cette garantie.

Qu’en est-il de l’arsenal nucléaire pakistanais?

En se tournant vers le Pakistan, seul pays à majorité musulmane doté de l’arme nucléaire et disposant d’un historique de coopération militaire avec le Royaume, Riyad semble envoyer un message à la fois à ses alliés et à ses rivaux: il est prêt à élargir ses options stratégiques.

Concernant l’éventuelle inclusion de l’arsenal nucléaire pakistanais dans l’accord, le même responsable qui s’est confié à Reuters sous couvert d’anonymat a précisé: «Il s’agit d’un accord de défense global qui englobe tous les moyens militaires.»

Hussain Haqqani, ancien diplomate, a souligné sur X que le terme «stratégique» qualifiant le pacte saoudo-pakistanais implique une couverture des défenses nucléaires et de missiles. Il a ajouté que le Pakistan a toujours qualifié ses programmes nucléaires et balistiques d’«atouts stratégiques», estimant que l’accord pourrait permettre au Pakistan d’acquérir des armes américaines financées par l’Arabie saoudite, comme le stipulaient des accords similaires dans les années 1970.

Pour Michael Kugelman, analyste spécialiste de l’Asie du Sud, si le pacte est peu susceptible de dissuader l’Inde d’agir militairement, l’alignement avec trois puissances clés – la Chine, la Turquie et l’Arabie saoudite – place le Pakistan dans une position stratégique renforcée.

Un accord en gestation pour des décennies

Pour l’Arabie saoudite, cet accord consolide une relation qui inclut déjà un vaste programme d’échanges en matière de formation et de conseil. Depuis la fin des années 1960, plus de 8.000 militaires saoudiens ont été formés au Pakistan, et les exercices conjoints sont devenus un élément récurrent de la coopération bilatérale.

Pour sa part, le Pakistan bénéficie d’une réaffirmation publique du soutien de l’un de ses plus importants bailleurs de fonds, à un moment marqué par des pressions persistantes, tant sur le plan intérieur que régional. Plus de 2,5 millions de Pakistanais vivent et travaillent en Arabie saoudite, et le Royaume est souvent intervenu pour apporter un soutien économique lorsque l’économie d’Islamabad a été en difficulté.

Réactions internationales

Le pacte a déjà suscité l’attention internationale. L’Inde, qui a affronté le Pakistan lors d’un conflit bref, mais meurtrier plus tôt cette année, a déclaré être consciente des discussions entourant l’accord et qu’elle en évaluerait attentivement les implications. Un haut responsable saoudien a cherché à rassurer New Delhi, affirmant que les relations entre l’Arabie saoudite et l’Inde sont «plus solides que jamais».

L’Iran, qui n’a rétabli ses relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite que récemment dans le cadre d’une détente négociée par la Chine, n’a pas encore publié de réaction détaillée. Les États-Unis, de leur côté, ne se sont pas exprimés officiellement, même si les observateurs y voient le reflet de la frustration de Riyad face à ce qu’elle perçoit comme un engagement hésitant de Washington en matière de sécurité dans le Golfe.

Si la cérémonie de signature a donné une image d’unité, l’absence de précisions laisse en suspens d’importantes interrogations. On ignore ainsi si l’accord a pour effet d’étendre un «parapluie» nucléaire pakistanais sur l’Arabie saoudite, comme le supposent certains analystes. De même, il n’est pas clair à quelle vitesse les deux armées pourraient coordonner une réponse en cas d’attaque, ni quelles formes d’agression seraient couvertes par le pacte.

Néanmoins, la symbolique de cette initiative demeure indéniable: elle transforme un accord de sécurité ancien mais informel en un engagement public contraignant, à un moment où les deux pays doivent faire face à de nouvelles pressions liées à l’évolution des équilibres régionaux.

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