Honneurs royaux et fractures: la visite très attendue de Donald Trump à Londres
©MANDEL NGAN / AFP

Ce mardi, Londres s’apprête à accueillir Donald Trump pour sa deuxième visite d’État, un fait inédit pour un président américain et, plus largement, pour un chef d’État non royal. En acceptant une nouvelle invitation de la Couronne, privilège rarissime dans l’histoire des relations internationales, le président américain reçoit ce qu’il considère probablement comme la plus haute distinction que puisse accorder un État étranger. Admirateur fervent de la monarchie britannique et profondément marqué par son attachement ouvertement déclaré à la défunte reine Élizabeth II, Trump perçoit dans cette reconnaissance un honneur diplomatique exceptionnel, qui dépasse la simple routine protocolaire. Après sa défunte mère, c’est au roi Charles III de se prêter à l’exercice de la couronne, du glamour, des dorures et surtout de l’impartialité constitutionnelle, un exercice qu’il incarne depuis de nombreuses années, malgré les difficultés diplomatiques et politiques que peut poser un invité aussi clivant que l’actuel occupant de la Maison-Blanche.

Mais si le faste monarchique offre l’écrin doré de la tradition, l’enjeu dépasse largement la solennité: il s’agit de réaffirmer une alliance historique, la fameuse «relation spéciale», à un moment où son actualité et sa portée stratégique sont mises à l’épreuve par de profondes recompositions géopolitiques.

Le président américain Donald Trump a, à maintes reprises, exprimé son attachement profond et personnel au Royaume-Uni. Fils d’une mère d’origine écossaise, il évoque beaucoup les «très bons souvenirs» liés à ses séjours dans les Highlands où il détient aujourd’hui des terrains de golf, et situe même l’un de ses premiers souvenirs d’enfance dans l’image de sa mère suivant avec émerveillement le couronnement d’Élizabeth II en 1952. De cette fascination originelle est née une admiration constante pour la défunte souveraine, qu’il décrivait comme une figure exceptionnelle, incarnant à ses yeux «la dignité et la grandeur de la monarchie britannique». Fidèle à ce sentiment, Trump n’a cessé d’exprimer publiquement son hostilité envers le couple Sussex, qu’il accuse d’avoir «terni l’image de la Couronne et d’avoir manqué de respect à la reine dans les dernières années de sa vie».

De même, il s’est toujours montré respectueux envers l’institution monarchique, allant jusqu’à louer à plusieurs reprises la stature de Charles III et de son héritier, le prince de Galles, William. Cette constante révérence contraste avec les vives divergences qu’il a pu entretenir avec Downing Street sur de nombreux dossiers sensibles: jamais Trump n’a confondu ses différends politiques avec le prestige de la monarchie. Or, c’est précisément cette séparation que le Premier ministre Sir Keir Starmer a su mettre à profit. En mobilisant tout ce que représente la Couronne, Downing Street a encouragé Buckingham Palace à émettre une seconde invitation officielle à Trump – un privilège inouï jusqu’alors pour un chef d’État non royal.

Le succès de la manœuvre de Sir Keir Starmer repose avant tout sur le soft power unique que représente la monarchie britannique. Conscient de l’admiration profonde que Donald Trump porte à la Couronne, Starmer s’est appuyé sur l’aura historique et symbolique de Charles III pour attirer le président américain à Londres et consolider, à sa manière, la «relation spéciale» avec Washington. Lors de sa visite à la Maison-Blanche en février, Starmer a présenté à Trump une lettre manuscrite du roi l’invitant à une «visite d’État vraiment spéciale et sans précédent» – un geste qui, aux yeux de Trump, constituait le sommet des honneurs diplomatiques. L’initiative a immédiatement séduit le président américain, démontrant que l’influence de la Couronne pouvait surpasser tout argument politique ou diplomatique classique.

Cependant, selon certaines sources royales citées par plusieurs quotidiens britanniques, l’entourage du monarque se serait toutefois dit quelque peu frustré par l’instrumentalisation de l’institution monarchique: en mêlant le souverain à des manœuvres de ce type dans la situation actuelle, Downing Street risquait de compromettre l’impartialité constitutionnelle du roi et d’associer la monarchie à des crises diplomatiques. Cette inquiétude s’inscrit dans un contexte plus large où le roi Charles III devait jongler avec des sensibilités internationales délicates. Sous l’occupant de la Maison-Blanche, dont le discours à l’égard du Canada avait souvent suggéré que ce dernier pourrait devenir un «51ᵉ État» des États-Unis, la Couronne devait veiller à protéger la réputation et l’autorité symbolique de la monarchie au sein du Commonwealth. Or, à la suite du décès d’Élizabeth II, la popularité de la monarchie avait quelque peu décliné au Canada, suscitant des inquiétudes quant à l’image que pourrait renvoyer au peuple canadien une visite d’État fastueuse de Donald Trump à Londres. Pour anticiper tout malentendu, Buckingham Palace a donc organisé une visite officielle de Charles III au Canada, au cours de laquelle le roi a présidé la cérémonie d’ouverture du Parlement canadien – une première depuis 1977 – et prononcé un discours rédigé par le gouvernement, insistant clairement sur la souveraineté nationale du pays. Ce geste a d’ailleurs rehaussé la côte de popularité de la monarchie britannique.

Simultanément, la Couronne devait naviguer avec prudence sur le front diplomatique ukrainien. Sur conseil de Downing Street, il a été décidé que le roi accueillerait Volodymyr Zelensky pour un thé au lendemain de l’altercation médiatisée entre Trump et le président ukrainien à la Maison-Blanche. Bien que Charles III ait déjà affiché publiquement son soutien à l’Ukraine, notamment en rencontrant Zelensky et en visitant des camps d’entraînement de soldats ukrainiens au Royaume-Uni à plusieurs reprises, ce geste pouvait être perçu comme une provocation par la Maison-Blanche et risquait d’associer la monarchie à une crise diplomatique, ce qu’elle se doit d’éviter afin de préserver son impartialité constitutionnelle. Les craintes se sont partiellement matérialisées: plusieurs médias américains ont exprimé la frustration de M. Trump face à l’accueil réservé à M. Zelensky, soulignant combien la position du roi pouvait être interprétée comme un jugement politique direct à l’encontre de l’administration américaine.

En tout état de cause, la visite d’État de Donald Trump à Londres s’inscrit à la croisée d’enjeux économiques, technologiques et géopolitiques majeurs pour le gouvernement britannique. Elle survient à un moment où Sir Keir Starmer traverse une crise politique profonde, avec une cote de popularité historiquement basse (à environ -47), miné par une succession de scandales et des spéculations croissantes sur une démission à moyen terme. Le Premier ministre espère donc transformer cette séquence diplomatique en vitrine de «victoires» domestiques: exclusion de l’acier et de l’aluminium britanniques des tarifs américains, extension de la coopération civile nucléaire et signature d’un partenariat technologique avec la Silicon Valley sur l’intelligence artificielle et l’informatique quantique.

Mais l’enjeu dépasse l’économie. La visite intervient à la veille de l’Assemblée générale des Nations unies, où Londres envisage de concrétiser la reconnaissance d’un État palestinien – une position frontalement opposée à celle de Washington, qui reste extrêmement proche de Tel-Aviv.

Enfin, le Royaume-Uni pourrait aussi viser à infléchir Trump, qui semble amorcer une relative prise de distance vis-à-vis de Poutine malgré un vocabulaire toujours sympathisant au Kremlin, afin de resserrer la coordination occidentale sur l’Ukraine et les sanctions massives.

Sir Keir Starmer devra donc se préparer à naviguer avec une extrême prudence entre ces lignes de fracture médiatique et politique pour ménager un incident qui pourrait mettre à péril tous ses efforts considérables depuis janvier 2025. Ainsi, entre divergences stratégiques et risques d’incidents diplomatiques, la marge de manœuvre de Starmer reste étroite.

 

Commentaires
  • Aucun commentaire