
Des députés souverainistes s’apprêtent à déposer une plainte pénale contre le secrétaire général du Hezbollah, Naïm Qassem, accusé d’incitation à la guerre civile et à la discorde sectaire. Cette initiative place la justice libanaise face à un test décisif pour affirmer l’autorité de l’État et sa souveraineté.
Réunis mardi autour du député Achraf Rifi, ancien ministre de la Justice, plusieurs parlementaires et figures du Front souverain ont annoncé leur intention de déposer une plainte contre le secrétaire général du Hezbollah, Naïm Kassem, et de saisir la Cour de cassation de ce dossier.
Selon eux, ses propos du 15 août, avertissant que toute tentative de désarmer sa formation «déclencherait une guerre civile et mettrait fin à la vie au Liban», constituent une menace directe pour la paix civile, sanctionnée par les lois libanaises.
La plainte, qui vise le numéro un du Hezbollah ainsi que «toute personne que l’enquête désignera», devrait être déposée dans les prochains jours. M. Rifi a été chargé de coordonner la démarche au nom des plaignants.
Cette procédure pourrait marquer un tournant pour le Liban. Le système judiciaire est appelé à se prononcer sur des propos tenus par un haut responsable du Hezbollah. «Nous sommes à la croisée des chemins», affirme l’avocat Majd Harb, qui voit dans cette démarche un révélateur de la capacité de la justice à fonctionner indépendamment des pressions politiques.
La procédure judiciaire
En principe, «toute personne qui s’estime menacée par un discours incitatif peut se constituer partie plaignante», affirme Me Harb. Mais, rappelle-t-il, «la principale partie lésée par les propos menaçants de Naïm Kassem demeure l’État libanais, représenté par le procureur général. Celui-ci devrait agir d’office pour défendre la souveraineté et la paix nationale».
Si le parquet décide d’ouvrir une enquête sans attendre qu’une plainte soit déposée, ce serait un signal fort. Or, jusqu’à présent, la justice a souvent été accusée de passivité, voire de soumission aux rapports de force politiques.
D’un point de vue juridique, deux voies s’offrent aux plaignants. «La plainte directe est déposée soit auprès du juge d’instruction, soit auprès du procureur général près la Cour de cassation», explique Me Majd Harb à Ici Beyrouth. Dans les deux cas, il y a une obligation de convoquer l’intéressé pour les besoins de l’enquête. «Personne n’est au-dessus de la loi. La seule exception prévue est celle du président de la République pour qui le juge se déplace lui-même», poursuit l’avocat.
L’étape qui suit est donc l’audition: «le juge devrait écouter les deux parties».
Dans ce cadre, «Naïm Kassem devrait être traité par la justice comme tout autre citoyen libanais. Une notification à sa dernière adresse connue serait légale», précise Me Harb.
En cas de refus de comparaître, Naïm Kassem pourrait être jugé in absentia. Cela ne peut toutefois intervenir qu’après le respect de la procédure judiciaire, qui prévoit d’abord l’émission d’un avis de recherche, suivi, le cas échéant, d’un mandat d’arrêt par défaut.
Nature de la plainte et rôle symbolique des plaignants
La plainte prévue contre Naïm Nassem est de nature pénale. Après réception du dossier, le juge d’instruction examinera les infractions reprochées et décidera à quelle cour transmettre l’affaire pour engager les poursuites. «Il est encore trop tôt pour anticiper l’issue de la procédure envisagée, d’autant que d’autres infractions du Hezbollah pourraient relever de différentes juridictions: le parquet financier pour le blanchiment d’argent, la cour environnementale, la cour civile, la cour militaire ou encore le Conseil d’État, selon la nature des délits», poursuit Me Harb.
Concernant l’identité du plaignant, «la loi ne fait pas de distinction entre un citoyen ordinaire, un chef de parti ou un député. Dans le cas de parlementaires, l’effet est surtout moral et symbolique, puisqu’il s’agit d’un représentant du peuple ou d’une ligne politique. Ce qui importe juridiquement, c’est l’infraction elle-même. Si le système judiciaire souhaite agir, il peut le faire même sans plainte. À l’inverse, l’accumulation de plaintes ne produira aucun effet si la volonté de sanctionner fait défaut», indique l’avocat.
À la croisée des chemins
Convoquer le numéro un du Hezbollah constituerait donc un précédent. «Déjà, si un juge décide de l’entendre, ce sera un accomplissement», estime Me Harb. Selon lui, cette plainte constitue un test majeur: «Soit la justice libanaise montre qu’elle respecte son serment et qu’elle traite tout le monde sur un pied d’égalité, soit elle maintient la tradition des blocages et des pressions politiques».
«Par le passé, plusieurs parties avaient déposé des mains courantes contre le Hezbollah, son ancien chef, Hassan Nasrallah, ou encore son institution financière, Al-Qard al Hassan, pour inciter la justice à prendre une action à l’égard de leurs infractions. Mais ces initiatives étaient automatiquement refusées par les juges indirectement soumis au Hezbollah», révèle Me Harb.
À présent, c’est l’avenir même de l’État libanais qui se joue. «Sans le judiciaire, toutes les positions politiques, présidentielles, militaires ou sécuritaires restent des discours creux», avance l’avocat.
Si la plainte est instruite sérieusement, elle pourrait marquer une étape vers la consolidation de la souveraineté et l’affirmation du rôle de la justice comme pilier de l’État. Dans le cas contraire, ce serait, selon Me Harb, «une défaite non seulement pour les plaignants, mais surtout pour la présidence de la République et pour le gouvernement».
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