Zanguezour, le corridor qui inquiète Téhéran
Le président américain, Donald Trump (au centre), s'exprime sous le regard du Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan (à droite), et du président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, après la signature d'un accord dans la salle à manger d'État de la Maison Blanche, à Washington, DC, le 8 août 2025. ©Andrew Caballero-Reynolds / AFP

La paix signée le 8 août dernier entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pourrait marquer un tournant majeur pour le Caucase du Sud. Mais pour Téhéran, l’un de ses volets les plus emblématiques – la mise en place du corridor de Zanguezour, reliant directement l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan via le sud de l’Arménie – représente un danger stratégique.

Long de 43 km, ce couloir permettrait de réduire la distance entre la Turquie et l’Azerbaïdjan de 343 km, par rapport à la liaison actuelle via la Géorgie, et de gagner un jour sur le transport de fret entre l’Europe et la Chine par rapport à l’actuel «Middle Corridor» (corridor médian, axe commercial reliant la Chine à l’Europe en contournant la Russie et l’Iran).


Le corridor de Zanguezour © Ici Beyrouth

Un risque d’ouverture pour Israël et l’OTAN

Selon l’Atlantic Council, certains responsables iraniens estiment que ce passage pourrait devenir une porte d’entrée directe pour Israël et l’OTAN dans le Caucase. 

Toujours selon la même source, la principale préoccupation de Téhéran vis-à-vis de l’Azerbaïdjan est l’accroissement de ses capacités militaires, grâce à ses parrains israélien et turc, qui modifie l’équilibre géostratégique au détriment de l’Iran.

Le maintien de la frontière terrestre avec l’Arménie est un enjeu vital pour l’Iran. Comme l’explique le Caspian Policy Center, l’Iran craint que l’ouverture du corridor de Zanguezour ne renforce le facteur turc et ne réduise son rôle dans la région. Il craint également pour ses provinces du Nord, à majorité azérie.

Pour Téhéran, perdre cet accès direct à l’Arménie signifierait voir s’affaiblir son influence dans le Caucase, tout en renforçant l’axe Ankara-Bakou.

L’exclusion des grands flux commerciaux

Le corridor de Zanguezour s’inscrit dans le cadre de l’axe commercial baptisé «Middle Corridor »(corridor médian), qui relie la Chine à l’Europe en contournant la Russie et l’Iran. Aujourd’hui, cette route transporte environ 6 millions de tonnes de marchandises par an, contre plus de 100 millions pour le «Northern Corridor» via la Russie.

Mais selon la Banque mondiale, le «Middle Corridor» pourrait, d'ici à 2030, tripler son volume à 11 millions de tonnes et accroître de 30% les échanges entre la Chine et l’Union européenne.

Or, cette réalité alimente la crainte de l’Iran d’être marginalisé dans les échanges eurasiatiques. Comme le note l’Atlantic Council, les voisins de l’Iran, et même ses alliés, l’ont contourné dans les projets actuels de connectivité.

Cet isolement potentiel s’explique par les sanctions internationales ainsi que par le manque d’infrastructures et de financements, autant de facteurs qui réduisent la capacité de Téhéran à se positionner comme un carrefour de transit.

La peur d’un encerclement stratégique

Pour Téhéran, le corridor fait partie d’un dispositif plus large visant à encercler l’Iran, la Russie et la Chine.

Le Gulf International Forum cite un article du Conseil stratégique des relations extérieures de Téhéran qui met en garde contre une «conspiration pour créer le corridor turanien de l’OTAN», lequel «amènerait directement l’OTAN à la frontière nord de l’Iran, à la frontière sud de la Russie et à l’ouest de la Chine au Xinjiang, et compléterait le plan visant à encercler ces pays et à préparer le terrain pour leur désintégration».

De plus, lors d'un entretien téléphonique avec le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, le président iranien, Massoud Pezeshkian, «a mis en garde», lundi, contre «d'éventuelles actions des États-Unis qui pourraient poursuivre des objectifs hégémoniques dans la région du Caucase sous le couvert d'investissements économiques et de garanties de paix», selon un communiqué de Téhéran.

Comme le résume le RUSI, un think tank britannique spécialisé dans la défense, l’Iran reste «un élément imprévisible» dans l’équation du Caucase, susceptible de peser sur la mise en œuvre du projet.

Pour Téhéran, l’enjeu est double: préserver sa profondeur stratégique au nord et éviter d’être contourné dans les nouvelles routes commerciales eurasiatiques.

Dans ce bras de fer, le corridor de Zanguezour est moins un simple axe de transit qu’un révélateur des luttes d’influence qui redessinent le Caucase du Sud.

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