Dans la tête du Mossad : comment Israël a infiltré le cœur de l’État iranien
©Ici Beyrouth

En Iran, les murs de la forteresse se fissurent. Depuis plusieurs mois, des sabotages discrets, des fuites massives de données et des révélations explosives sur des agents doubles secouent le cœur du régime. Derrière ces opérations d’une précision chirurgicale, tout semble pointer vers le Mossad. Mais plus que la puissance de ses adversaires, c’est la fragmentation et la paranoïa internes qui exposent aujourd’hui Téhéran à ses pires ennemis… parfois déjà assis à la table du pouvoir.

En juin2025, l’Iran a été frappé par une vague d’opérations d’un autre genre. Sabotages ciblés, explosions «accidentelles», déstabilisation numérique, assassinats ciblés…

L’ensemble porte la marque d’une offensive hybride, silencieuse et redoutablement efficace. Mais au-delà de la puissance technologique, c’est surtout l’effondrement structurel d’un régime paranoïaque qui saute aux yeux. «Ce n’est pas une surprise», rappelle David Rigoulet‑Roze, chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS). Dès 2021, l’ancien ministre du Renseignement, Ali Younessi, alertait publiquement sur la présence d’agents israéliens jusque dans l’appareil d’État: «Le Mossad a pénétré de nombreux départements gouvernementaux au cours des dix dernières années, à tel point que tous les hauts responsables du pays doivent craindre pour leur vie.»

Dans le même registre, en septembre 2024, l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad, pourtant issu du camp ultraradical, révélait que le chef du contre-espionnage des Pasdaran lui-même avait été un double agent, lors d’une interview accordée à CNN Türk. Il avait déclaré que: «Le plus haut responsable du pays, chargé de faire face aux activités de renseignement d'Israël en Iran, était un agent du Mossad.»

Selon l'ancien président, ce haut responsable n'était pas le seul infiltré. Il a affirmé que 20 autres membres de cette unité étaient également des agents du Mossad. Ahmadinejad les a accusés d'avoir réussi à voler les documents nucléaires iraniens et d'être responsables de l'assassinat de scientifiques nucléaires iraniens. Ahmadinejad a été président de l'Iran sur deux mandats jusqu'en 2013. Son successeur, Hassan Rohani, a eu comme chef de cabinet Ali Younessi, ancien ministre du Renseignement. Ces révélations spectaculaires prennent a posteriori un relief particulier dans le contexte de la confrontation actuelle entre l'Iran et Israël, notamment autour du programme nucléaire iranien et des activités régionales de Téhéran.

La peur s’est installée au sommet de l’appareil sécuritaire, et pour cause: cette infiltration ne date pas d’hier. En 2019 déjà, un épisode passé inaperçu avait tout d’un séisme. Le général Ali Nasiri, responsable de la protection rapprochée des élites iraniennes (y compris du Guide suprême), avait brusquement quitté le pays après une altercation avec le patron des services de renseignement des Pasdaran. Il aurait demandé l’asile à une ambassade américaine dans le Golfe, emportant des documents hautement sensibles.

 

Un État fragmenté, en guerre contre lui-même

L’infiltration serait d’autant plus aisée qu’elle s’opère dans un appareil de sécurité profondément divisé. «Une logique de rivalité permanente entre les services du ministère du Renseignement (le VAJA, connu sous son ancien nom de VEVAK, acronyme de Vezārat-e Ettelā'at va Amniat-e Keshvar) et ceux des Pasdaran dirigés par Hussein Taeb (le Sazman-e Etela’at-e Sepah) depuis 2009. Mais ce dernier n’est pas le seul qui soit lié directement au bureau du Guide suprême (notamment le Vali-e Amr qui s’occupe directement de la sécurité du Guide suprême de la Révolution, Ali Khamenei)», souligne Rigoulet‑Roze. Chacun joue sa propre partition, ce qui rend toute coordination impossible, un terreau idéal pour les infiltrations multiples et simultanées.

Des défections en série viennent renforcer cette impression de chaos: plusieurs hauts responsables des Pasdaran ont disparu ou fui, sans qu’aucune explication officielle soit fournie.

 

La guerre hybride: une affaire de cerveaux, pas de missiles

«Ce genre d’opération est presque impossible à tracer aujourd’hui», confie un expert en cybersécurité qui a requis l’anonymat. Selon lui, le Mossad a profité de la "surinformatique", cette saturation numérique où les données sont si massives que la traçabilité devient un casse-tête. «Les surfaces d’attaque sont immenses, les serveurs peuvent être compromis sans que personne s’en aperçoive.»

Ce nouveau type de conflit s’éloigne du champ de bataille traditionnel. Ce n’est plus la supériorité militaire qui compte, mais l’intelligence technologique. «Ce n’est pas propre au Mossad, mais ils sont très à la pointe de cette doctrine. Et aujourd’hui, ce n’est plus le plus riche ou le mieux armé qui gagne, c’est celui qui a les meilleurs cerveaux.»

Pas besoin de relais régionaux ou de complices sur place: les communications chiffrées de dernière génération permettent d’opérer depuis l’autre bout de la planète. «Internet a rendu le monde très petit», glisse sobrement cet expert.

Le régime iranien, coutumier de la dissimulation, n’a évidemment pas reconnu la moindre infiltration. Et il est aujourd’hui impossible de savoir si certains signaux faibles – cyberfuites, comportements suspects, anomalies internes – ont été volontairement ignorés ou simplement passés sous silence. Mais une chose est sûre: la machine sécuritaire est plus occupée à se surveiller elle-même qu’à protéger la population ou les infrastructures.

 

Une opinion publique moqueuse, un régime affaibli

Les autorités ont tenté de justifier les incendies dans des raffineries, les explosions dans des bases des Pasdaran ou les pannes dans les aéroports par des prétextes aussi variés que risibles: «brûlage contrôlé d’herbe», «surcharge électrique», «problèmes climatiques». Des justifications qui font rire jusque dans les rues de Téhéran, où la population sait bien ce qui se joue en silence.

L’unité 8200, le bras cybernétique israélien, aurait été responsable de plusieurs effacements de données critiques dans des banques, notamment Sepah Bank, Pasargad Bank ainsi que les banques Kosar et Ansar, toutes deux liées à l'armée iranienne) et des administrations. David Rigoulet‑Roze y voit «une démonstration de force sans trace visible, qui désorganise sans avoir besoin de bombarder».

Le climat post 2022 a changé la donne. Depuis le soulèvement «Femme, Vie, Liberté», une génération entière a pris conscience de l’effondrement du contrat social. Des pans entiers de la jeunesse iranienne sont désormais connectés au monde extérieur par VPN, et même via Starlink dans certaines provinces. Un terrain fertile pour les collaborations discrètes avec les services étrangers, mais aussi pour l’émergence d’une dissidence numérique impossible à endiguer.

L’Iran n’est plus cette forteresse sécuritaire qu’il prétend être. Le Mossad n’a pas seulement frappé des installations: il a révélé les failles d’un système qui se croyait intouchable. Et ces failles sont internes.

Le cœur du régime bat désormais au rythme de la méfiance, de la peur et du soupçon. Les ennemis ne sont plus à ses frontières, mais dans ses ministères, ses unités spéciales, ses réseaux informatiques. Et parfois, ils en tiennent eux-mêmes les clés.

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