Le premier Parlement post-Assad à l’épreuve de la transition
©Ici Beyrouth

Les premières élections législatives post-Assad sont prévues pour septembre 2025 en Syrie. Un scrutin indirect, encadré par une architecture institutionnelle inédite, doit jeter les bases du renouveau politique syrien. Mais, entre promesses de représentativité et zones d’ombre, l’équilibre reste fragile.

La Syrie s’apprête à tenir, du 15 au 20 septembre 2025, ses premières élections législatives depuis la chute du régime de Bachar al-Assad, selon l’agence de presse syrienne (SANA). Présenté comme un tournant institutionnel majeur, ce scrutin s’inscrit dans une phase de transition marquée par l’instauration d’une nouvelle constitution provisoire et la nomination, en janvier dernier, d’Ahmed al-Chareh à la tête de l’État pour une période intérimaire de cinq ans. Ce contexte de refondation politique donne au futur Parlement un rôle central. Reste à comprendre ce que sera réellement ce nouveau Conseil du peuple, comment ses membres seront désignés et avec quelle légitimité il pourra exercer le pouvoir législatif.

Une élection sans urnes

Contrairement à ce que le mot «élections» pourrait laisser penser, le processus en préparation ne prévoit pas un scrutin direct. La Commission électorale, présidée par Mohammed Taha al-Ahmad, a opté pour un système indirect, justifié par les conditions logistiques et démographiques jugées incompatibles avec un vote universel. En effet, des millions de Syriens vivent déplacés, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Beaucoup n’ont plus de papiers d’identité valides, et certaines régions échappent encore au contrôle du pouvoir central.

Face à cette réalité, les autorités de transition ont mis en place une architecture électorale s’inspirant de modèles dits «semi-représentatifs», basés sur la formation de comités locaux, chargés de constituer des corps électoraux au sein desquels se déroule le processus électoral. Il s’agit de sélectionner des corps électoraux, répartis dans 60 circonscriptions électorales qui correspondent aux différentes zones administratives de la Syrie. Ces électeurs désigneront à leur tour les deux tiers des députés du futur Parlement, soit 140 sièges sur un total de 210, qui seront répartis entre ces circonscriptions en fonction du recensement et de la composition démographique. Le tiers restant, soit 70 membres, sera nommé directement par le président.

Pourra intégrer le corps électoral toute personne de nationalité syrienne inscrite dans la région concernée ou pouvant prouver y avoir résidé de manière ininterrompue pendant au moins cinq ans avant 2011. Cela inclut les personnes actuellement installées dans d’autres gouvernorats ou à l’étranger. Le nombre total de membres des corps électoraux est estimé à environ 7.000 à travers l’ensemble du territoire syrien.

Contacté par Ici Beyrouth, l’ancien député libanais Farès Souhaid a considéré ce scrutin comme une «étape transitoire indispensable» à la lumière du calendrier fixé par Ahmed al-Chareh: trois ans pour rédiger une nouvelle Constitution, quatre pour organiser des élections législatives.

Pour lui, ce délai ne relève pas d’un excès de prudence, mais d’un impératif politique: «La mission d’Al-Chareh ne se limite pas à couper la route entre Téhéran et Beyrouth. Il s’agit avant tout de réunifier une Syrie profondément morcelée, dont le tissu national a été déchiré par la guerre civile.» Dans ce contexte, poursuit-il, «ce processus électoral constitue un point de départ nécessaire.»

Un Parlement aux compétences élargies
Concernant les pouvoirs du Conseil du peuple, Nawar Najmeh, porte-parole de la Commission pour les élections au Conseil du peuple, a affirmé qu’il constituerait «l’autorité législative de la Syrie». Il devra non seulement proposer et voter les lois, mais aussi contrôler l’action du gouvernement. M. Najmeh a souligné qu’aucune loi émise par le pouvoir exécutif ne pourra entrer en vigueur sans avoir été approuvée par le Conseil du peuple.

De son côté, M. Hassan Daghem, responsable de la communication citoyenne au sein de la Commission électorale, a précisé que le Conseil du peuple détient le pouvoir législatif et que le président de la République est tenu de promulguer les lois adoptées sous forme de décret. Si le président refuse de le faire, il doit en exposer les raisons, et le texte est alors renvoyé au Conseil. Si ce dernier l’adopte à la majorité des deux tiers, la loi entre en vigueur «même en cas d’opposition du président de la République».

C’est précisément ce pouvoir d’initiative et de blocage qui distingue cette assemblée des anciens conseils consultatifs créés sous les régimes précédents. Il s’agit ici d’un Parlement doté de véritables leviers, dont la légitimité viendra non pas du suffrage universel direct, mais de la solidité du processus électoral et de la diversité de ses membres.

Toutefois, la question de la représentativité reste posée. Si la nouvelle chambre est juridiquement dotée de prérogatives étendues, sa légitimité politique dépendra de la perception qu’en auront les Syriens et la communauté internationale.

Interrogé à ce sujet, Farès Souhaid rappelle que «la mission stratégique d’Ahmad al-Chareh dépasse le simple cadre institutionnel: elle vise à rompre l’axe Téhéran-Beyrouth et à démanteler l’influence iranienne dans la région.» Mais pour l’ancien député libanais, cette ambition géopolitique ne doit pas masquer l’enjeu principal du moment. «Il n’est pas demandé à Ahmad al-Chareh de présider une Syrie démocratique», affirme-t-il. «Sa responsabilité, aujourd’hui, est de gérer une phase de transition historique, d’opérer un passage de la dictature à un cadre étatique modernisé. Rien de plus, mais rien de moins non plus.»

Zones grises et défis politiques

Cependant, plusieurs obstacles restent à franchir. Certaines régions sont actuellement hors du contrôle de l’État, comme Soueïda ou le nord-est du pays, sous l’influence des Forces démocratiques syriennes (FDS). Mohammad Yassine, vice-président de la Commission électorale du Conseil du peuple, a évoqué que la Commission électorale s’efforce d’organiser les élections «de manière uniforme dans l’ensemble de nos gouvernorats». L’organisation du vote y reste incertaine. La Commission électorale assure que des discussions sont en cours avec les communautés locales, mais reconnaît qu’il faudra «s’adapter à l’évolution de la situation politique».

Autre difficulté: l’encadrement des élections elles-mêmes. Des commissions de recours seront mises en place dans chaque gouvernorat, précise M. Yassine. Elles seront composées de trois juges désignés par le ministère de la Justice et auront pour mission de traiter les contestations à trois niveaux: la nomination des membres des comités locaux, la sélection des membres des corps électoraux et les résultats du scrutin. Des observateurs de la société civile et d’organisations internationales devraient aussi être autorisés à superviser le processus. Une première en Syrie.

Sur cette question, M. Souhaid explique que «l’unification de la Syrie ne se fera pas par magie. Elle doit passer par une nouvelle constitution respectueuse de la diversité de la société syrienne, et par un Parlement qui en jette les bases.»

Une transition encore fragile

Enfin, les acteurs de la transition insistent sur le caractère provisoire de cette architecture. Le Parlement élu en septembre 2025 aura vocation à préparer une refondation institutionnelle plus profonde, avec à terme l’adoption d’une Constitution permanente et l’organisation d’élections générales sur une base plus classique.  Le vrai test viendra dans les mois qui suivront, lorsqu’il faudra juger le Parlement non sur sa forme, mais sur sa capacité à reconstruire un pays profondément divisé. 

Dans cette perspective, M. Souhaid insiste sur les répercussions régionales de cette transition. Selon lui, la reconstruction de la Syrie est déjà amorcée, tout comme un lent processus de normalisation avec Beyrouth. «Le Liban a tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec une Syrie redevenue un vaste chantier soutenu par le monde arabe, l’Arabie saoudite, la France et l’ensemble de la communauté internationale», souligne-t-il. Et de rappeler, non sans insister sur l’antériorité du combat libanais: «Nous, Libanais, avons été le fer de lance de l’opposition au régime syrien. En l’affaiblissant au Liban, nous avons contribué à fragiliser sa base en Syrie.»

Quant à la reprise des liens institutionnels entre les deux pays, M. Souhaid y voit une tradition assumée: «La normalisation libano-syrienne est une spécialité maronite. Elle requiert que le président de la République libanaise en prenne personnellement la responsabilité, quelles que soient les résistances.»

 

Commentaires
  • Aucun commentaire