
La célèbre chanson de Georges Brassens, adaptée à la réalité libanaise, fait sourire et pleurer à la fois.
Mardi, pendant que le gouvernement se penchait, en marchant sur des œufs minés, sur la question des armes du Hezbollah, tentant de trouver une formulation ou une phrase de compromis, le secrétaire général de la milice pro-iranienne prenait la parole sans s’encombrer de pincettes. La concomitance de la tenue du Conseil des ministres et du énième discours du représentant adoubé de l’ayatollah Ali Khamenei ne doit rien au hasard. Car, de fait, monsieur Qassem a parlé… au nom du Liban. Rien de moins.
«Le Liban ne renoncera pas à sa force…», «pas question d’un calendrier de désarmement»… Mieux: il a reproché à l’État libanais officiel de ne pas avoir récupéré sa souveraineté, alors que celle-ci est précisément confisquée par les agissements de sa propre milice. Sans oublier les menaces et l’appel au sacrifice.
C’est la plus grosse prise d’otages de tous les temps. Un groupe, seul, non officiel, retient 4,5 millions de personnes dans un projet guerrier dont les conséquences ne peuvent être que davantage de souffrances, de morts et de destructions. C’est comme ça et pas autrement. Sinon, attention: on va tout casser!
Pendant que le monde change, que les alliances bougent, que les peuples s’épuisent et que les États se repositionnent, certains restent donc bien campés dans leurs dogmes et préfèrent regarder ailleurs. Dans une réalité virtuelle. Le Hezbollah, maître incontesté de l’immobilisme armé, persiste et signe.
On connaît la chanson. Elle passe en boucle depuis 2006. Et comme toutes les vieilles rengaines, elle a cessé d’émouvoir depuis longtemps. Ce qui, hier, pouvait encore faire illusion auprès de certains fans inconditionnels sonne aujourd’hui comme une mauvaise parodie d’elle-même.
Certains naïfs, dont votre serviteur, pensaient que, tout de même, la milice pro-iranienne allait mettre un peu d’eau dans son vin (si je puis m’exprimer ainsi), pour tenter de soulager un peuple exsangue en trouvant un habillage pour renoncer à ses armes, tout en gardant la face. Après tout, le Hezbollah a déjà remporté de nombreuses «victoires» face à Israël. Il ne cesse de le répéter. Eh bien, non. Pas du tout. L’épopée doit continuer!
On a beau se dire que, dans la vraie vie, ces armes ne servent à rien. Qu’elles n’ont défendu personne, on l’a bien vu lors de la déroute de la «guerre de soutien» à Gaza, rien n’y fait non plus. Le souci, c’est qu’à Téhéran, le disque est rayé aussi. L’Iran, humilié en juin après douze jours de frappes ciblées sur son territoire, continue pourtant de souffler dans ses trompettes de guerre. Les sanctions ont beau pleuvoir sur le régime des mollahs comme un mois d’octobre en Écosse. On ne dévie pas des habitudes. Menaces à répétition, gesticulation militaire, rhétorique révolutionnaire… Mais rien qui ne tienne tête à la réalité: le régime est en train de perdre pied, ses proxys s’essoufflent et son influence se fissure, maintenue uniquement par un système policier répressif.
En écho, le Hezbollah entonne le même air, se bouche les oreilles, ce qui, soit dit en passant, n’aide pas pour les fausses notes, ferme les yeux et campe sur sa certitude: les armes sont sacrées. Même si elles plombent l’économie libanaise, détruisent la diplomatie du pays, compromettent ses relations arabes et attirent les pires sanctions. Même si le Liban, exsangue, classé sur des listes financières internationales de plus en plus noires, n’a plus ni État ni institutions fonctionnelles. Même si les Libanais, dans leur immense majorité, ne demandent rien d’autre que de vivre.
Seuls quelques irréductibles affidés de la milice pro-iranienne continuent à parader fièrement sur leurs mobylettes, croyant faire peur aux gens en les menaçant. Il y a pourtant une ironie tragique dans cette obstination: alors que la région vit une mutation géopolitique sans précédent, avec des États sunnites, dont la Syrie, qui attendent le moment propice pour normaliser avec Israël, des anciennes lignes rouges qui deviennent des lignes floues, et une guerre à Gaza qui redessine les priorités, le Hezbollah continue de jouer à la guerre des années 80. Un anachronisme armé, figé dans une posture périmée.
Et le Liban dans tout ça? Il observe, résigné, impuissant, un parti milicien jouer l’avenir de tout un pays et d’un peuple qui subit les conséquences d’un projet politico-militaire qui n’a plus rien à voir avec la souveraineté libanaise. Le Conseil des ministres a trouvé un système de désamorçage en deux temps. L’armée libanaise doit proposer un plan sur le «monopole des armes» avant le 31 août pour une mise en œuvre d’ici la fin de l’année. Ce jeudi, suite et certainement pas fin, le gouvernement doit reprendre les discussions sur le «document américain» de Tom Barrack.
Saucissonner le problème afin de rendre les solutions plus indolores. Sans prononcer le mot «Hezbollah». Pour éviter le retour à la case départ. Malgré tous les efforts déployés, la milice iranienne a tiré sur l’État à boulets rouges dès mercredi. Dans un communiqué, le Hezbollah a affirmé: «Nous agirons comme si la décision du gouvernement n’existait pas». Parce que oui, le temps ne fait rien à l’affaire. Et quand on est obtus… on le reste, jusqu’au naufrage.
Brassens, toujours lui, disait encore: «L’honneur, c’est comme les allumettes: ça ne sert qu’une fois.» Au Liban, il y en a qui tiennent le briquet allumé en permanence. Au-dessus d’un baril de poudre.
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