
Au cœur du Caucase, l’Azerbaïdjan étonne par ses choix géopolitiques. Majoritairement chiite, cette république laïque post-soviétique s'affiche pourtant comme l'un des alliés les plus fidèles d'Israël et un partenaire stratégique de l'Occident, tout en entretenant des relations conflictuelles avec l'Iran voisin.
Ce paradoxe ne relève pas du hasard, mais d'un positionnement mûrement réfléchi, fondé sur la sécurité nationale, les équilibres régionaux et une diplomatie d'opportunité.
Un État chiite… mais farouchement laïque
Contrairement à l'Iran théocratique, l'Azerbaïdjan a opté dès son indépendance en 1991 pour un modèle laïque qui contraste fortement avec l'islamisme chiite révolutionnaire des mollahs.
Selon le Middle East Institute, cette divergence structurelle nourrit une profonde méfiance mutuelle. L'opposition n'est pas simplement idéologique: elle alimente une rivalité géopolitique et identitaire profonde, car les deux États incarnent deux voies incompatibles.
Les tensions entre Téhéran et Bakou sont anciennes. L'Iran perçoit l'Azerbaïdjan comme une menace pour son intégrité, notamment en raison des quelque 15 millions d'Azéris vivant sur son sol.
Selon le think tank américain Atlantic Council, cela nourrit une paranoïa ethnique chez les dirigeants iraniens: l'Iran voit l'Azerbaïdjan comme une menace, craignant qu'il «n'inspire une révolte des Azéris iraniens».
Mais l’hostilité iranienne ne repose pas uniquement sur la crainte d’un sécessionnisme azéri. L’Azerbaïdjan est aussi étroitement allié à deux rivaux stratégiques de l’Iran: Israël et la Turquie.
Ce choix de partenaires irrite profondément Téhéran, qui voit dans Bakou une tête de pont pour ses ennemis à sa frontière nord. Comme le souligne le Middle East Institute, l'Iran considère que Bakou a donné à Israël une liberté opérationnelle considérable pour mener des actions sur le sol iranien.
Pour contenir Bakou, l’Iran a utilisé deux leviers: le soutien à l’Arménie et le recours à des groupes armés chiites radicaux, d’après l’Atlantic Council. Le groupe Housseiniyyoun, fondé par Qassem Soleimani, est accusé d'avoir planifié plusieurs attentats contre des responsables azerbaïdjanais.
Toujours selon le think tank, Bakou a déjoué plusieurs attentats, y compris une tentative contre l'ambassade d'Israël en 2023.
Les tensions entre l’Iran et l’Azerbaïdjan se sont envenimées par les guerres successives du Haut-Karabakh contre l’Arménie. Dès les années 1990, Téhéran s’est rangé du côté arménien, espérant contenir l’influence turco-israélienne à sa frontière nord. Cette posture a profondément irrité Bakou, surtout lors de la deuxième guerre du Karabakh en 2020, où l'Iran a été accusé de laisser transiter des armes vers l'Arménie.
Un partenariat stratégique avec Israël
Face à ces menaces, l’Azerbaïdjan s’est tourné vers Israël, devenant son principal fournisseur de pétrole et un client majeur pour ses armes. Selon l'Atlantic Council, «les armes israéliennes représentaient 69% des importations d'armes de l'Azerbaïdjan entre 2016 et 2021».
Cette alliance va bien au-delà du commerce. Elle a une portée géostratégique cruciale: d’après Forbes, le Mossad disposerait d’une forte présence en Azerbaïdjan, avec l'accord de Bakou.
Des responsables de l'administration Obama avaient estimé dès 2012 qu'Israël pourrait utiliser le territoire azerbaïdjanais pour frapper les installations nucléaires iraniennes.
L'importance de cette relation a été résumée par le président Ilham Aliyev lui-même: «Nos relations avec Israël sont comme un iceberg, avec neuf dixièmes sous la surface.»
Une diplomatie énergétique
Sur le plan énergétique, l’Azerbaïdjan est devenu un partenaire stratégique pour l’Union européenne, surtout après la guerre en Ukraine. En 2023, le pays a exporté 11,8 milliards de m³ de gaz vers l'UE, selon la Fondation Heinrich Böll.
L'UE s'est tournée vers Bakou pour réduire sa dépendance au gaz russe, malgré les critiques concernant les droits humains.
D'ailleurs, le Parlement européen a appelé à suspendre le mémorandum énergétique avec l'Azerbaïdjan en raison de son bilan politique, marqué par une répression persistante de l'opposition, des atteintes à la liberté de la presse, une justice peu indépendante et des violations systématiques des droits fondamentaux.
Une montée en puissance au Moyen-Orient
Bakou a aussi accru sa présence diplomatique au Moyen-Orient, notamment en Syrie. Après la chute du régime Assad, l'Azerbaïdjan a rapidement établi des relations officielles avec le nouveau pouvoir syrien.
Bakou joue un rôle de médiateur potentiel entre Israël et Damas. Le Stimson Center note que les autorités syriennes considèrent l'Azerbaïdjan comme un acteur utile et un médiateur entre Israël et la Syrie.
Preuve de cette stratégie, selon le Jerusalem Post, des ministres israéliens et syriens se sont retrouvés à Bakou ce jeudi pour échanger sur la situation sécuritaire dans le sud de la Syrie – une rencontre inédite orchestrée par l'Azerbaïdjan en tant que médiateur neutre.
Ce rôle s'est accentué après la guerre Iran-Israël de juillet 2025, où des médias iraniens ont accusé l'Azerbaïdjan d'avoir fourni un soutien en renseignement à Israël.
Qu'en pensent les Azerbaïdjanais?
Il n’existe pas de données officielles ou de sondages publics sur la perception de la population azerbaïdjanaise vis-à-vis d’Israël. Le régime d’Ilham Aliyev contrôle étroitement les médias et limite l'expression des opinions critiques, notamment sur les questions stratégiques.
Toutefois, la quasi-absence de manifestations hostiles ou de contestation visible suggère une forme de tolérance, voire de soutien implicite, à cette alliance.
Ce soutien découle en grande partie du rôle décisif qu’Israël a joué dans le conflit contre l’Arménie. Selon le Center for Strategic and International Studies (CSIS), Bakou considère Tel-Aviv comme un fournisseur clé de drones, de missiles balistiques et de renseignements, qui ont contribué aux victoires militaires en 2020 et 2023.
Aux yeux d'une grande partie de la population, la priorité semble être la souveraineté nationale et la récupération des territoires du Haut-Karabakh, bien plus que des considérations confessionnelles.
L’Azerbaïdjan incarne une forme rare d’indépendance stratégique dans le monde musulman. Malgré sa majorité chiite, il se démarque de l'Iran par son modèle laïc, sa diplomatie pro-occidentale et ses liens solides avec Israël.
Dans un environnement géopolitique fragmenté, Bakou a choisi de miser sur la diversification de ses alliances et un pragmatisme assumé, quitte à cultiver un paradoxe qui dérange.
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