
Journée consacrée à deux dossiers de corruption, mercredi, Place de l’Étoile: Dans le premier, un ancien ministre de l’Industrie, aujourd’hui député, est poursuivi par la justice. Dans le second, qui concerne les Télécoms, trois anciens ministres font l’objet de soupçons.
Le Parlement a approuvé, par 99 voix contre une seule abstention, la levée de l’immunité parlementaire du député et ancien ministre de l’Industrie, Georges Bouchikian, au cours d’une séance plénière, qui s’est tenue, dans la matinée, place de l’Étoile. Celle-ci était aussi consacrée à l’audition des anciens ministres des Télécommunications, Boutros Harb, Nicolas Sehnaoui et Jamal Jarrah, ainsi qu’à l’examen de plusieurs dossiers judiciaires.
Le Parlement a voté, à raison de 88 voix, en faveur du renvoi de MM. Harb, Sehnaoui et Jarrah, devant une commission d’enquête parlementaire. Celle-ci devra se pencher sur l’affaire du scandale des Télécoms en 2019, lié à des manœuvres de gaspillage de fonds publics. Les conclusions de l’enquête détermineront si les trois, ou le(s)quel(s) parmi eux, devra(ient) être déféré(s) devant la Haute Cour chargée de juger les présidents et les ministres.
Il faut préciser que neuf députés ont voté contre ce renvoi et que deux autres se sont abstenus de se prononcer sur la question. Les neuf ont notamment protesté contre le fait que le président de la Chambre, Nabih Berry, a soumis au vote le renvoi des trois anciens devant la commission d’enquête, alors qu’il était supposé, selon eux, procéder au cas par cas.
Pour ce qui est de l’affaire du ministère de l’Industrie, il convient de rappeler que le 8 juillet dernier, le procureur général près la Cour de cassation, le juge Jamal Hajjar, avait demandé la levée de son immunité. M. Bouchikian est soupçonné de «détournement de fonds, falsification et extorsion» au cours de son mandat en tant que ministre entre 2021 et 2025.
Georges Bouchikian est le deuxième ministre du gouvernement de Najib Mikati (2021-2025) visé par une enquête judiciaire pour corruption, après son ancien collègue Amine Salam, actuellement en détention pour une affaire de pots-de-vin.
Dans un communiqué publié lundi, M. Bouchikian a précisé qu’il avait quitté le Liban le 7 juillet pour un voyage personnel et familial planifié de longue date, à un moment où aucune procédure officielle ou demande de levée d’immunité ne le concernait encore. Il a également exprimé sa confiance dans la capacité des députés à prendre une décision impartiale, à l’abri de pressions médiatiques ou populistes, dans le respect de la Constitution et des institutions.
Les anciens ministres se défendent
Présent au Parlement, M. Harb a fermement rejeté les accusations. «Ma conscience est tranquille. Je n’ai pas violé la loi; au contraire, j’ai agi pour protéger les fonds publics», a-t-il déclaré. Il a évoqué son initiative de résilier le contrat de location controversé de l’immeuble Kassabian, estimant qu’il s’agissait d’une décision nécessaire. «C’est moi qui ai mis fin à ce gaspillage. Il est regrettable que la justice me place dans la position de l’accusé».
Nicolas Sehnaoui, également ancien ministre des Télécoms, s’est dit prêt à lever son immunité, s’il en avait la possibilité juridique. «J’ai la conscience tranquille», a-t-il, lui aussi, assuré. Concernant l’immeuble Kassabian, il a affirmé avoir agi sur recommandation de l’entreprise Zain International, qui aurait validé la solidité du bâtiment et proposé le site comme le plus adéquat. Son avocat, Naoum Farah, a appelé les députés à ne pas précipiter le renvoi de son client.
L’ancien ministre Jamal Jarrah a lui aussi dénoncé une procédure injuste. «Le parquet financier ne nous a demandé aucun document, et nous avons appris les accusations par les médias», a-t-il déclaré.
Déroulement de la séance
Dès l’ouverture de la séance, plusieurs députés ont soulevé la question du rôle de la Haute Cour susmentionnée, souvent critiquée pour son inefficacité.
Lors des débats, plusieurs députés ont pris la parole pour souligner la nécessité de fonder l’enquête des Télécoms sur des éléments solides. Le député Yassine Yassine a rappelé que «de nombreux rapports de la Cour des comptes sont disponibles» et a insisté sur le fait que la commission «doit s’appuyer sur ces documents pour étayer ses accusations».
Pour Jihad Samad, l’affaire va au-delà des procédures. Énumérant plusieurs violations dans la gestion du secteur, il a appelé à «abolir toutes les immunités, à l’exception de la présidence», et à poursuivre les anciens ministres impliqués, soulignant que «tous doivent être égaux devant la loi, sans discrimination».
En amont de la réunion, plusieurs parlementaires s’étaient également exprimés sur la portée symbolique et juridique de cette levée de l’immunité. Le député des Forces libanaises (FL), Razi el-Hage, a souligné que le Parlement devait impérativement retrouver sa fonction de contrôle, et ne pas devenir «un lieu où la justice disparaît». Pour sa part, le député Antoine Habchi (FL) a salué un exercice démocratique sain, appelant ses collègues à ne pas se réfugier derrière leur statut pour échapper à l’autorité judiciaire.
De son côté, le parlementaire Nabil Badr a rappelé que la levée de l’immunité n’était pas une décision anodine. «Un député représente une large base électorale et est soumis aux lois. Ce n’est pas si simple», a-t-il déclaré.
Quant au député Salim Sayegh (Kataëb), il a insisté sur la nécessité de renforcer la justice tout en précisant que le Parlement n’était «pas un organe d’accusation». «Nous ne devons pas accorder l’immunité, mais plutôt protéger le pouvoir judiciaire, pour qu’il puisse exercer librement son rôle», a-t-il conclu. M. Sayegh a également évoqué la responsabilité des ministres dans le dossier sensible des télécommunications, soulignant que les conclusions de la Cour des comptes appelaient à une reddition de comptes.
La réunion a été interrompue à plusieurs reprises en raison de coupures d'électricité et de dysfonctionnements du système audio, entraînant une pause momentanée des travaux.
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