Le corps après la grossesse: et si on arrêtait de mentir?
©Shutterstock

Six semaines: c’est le délai arbitraire après lequel le corps d’une femme est censé «se remettre» de l’accouchement. En réalité, douleurs, fatigue et transformations durent bien plus longtemps. Il est temps de lever le tabou du post-partum long.

«Et sinon, tu as retrouvé ton corps?» La question fuse dès la fin du premier mois, parfois même à la maternité. Elle surgit dans la bouche des proches, des collègues, des influenceuses postées en legging gainant. Comme si le corps féminin, après l’exploit de donner la vie, devait impérativement et discrètement revenir à son état d’origine. Le temps imparti? Six semaines, délai officiel de la visite postnatale en France. Ce chiffre, hérité d’une époque où la rééducation périnéale n’existait pas encore, ne correspond plus à aucune réalité corporelle.

En vérité, le post-partum est une traversée. Une période souvent longue, marquée par des douleurs persistantes, des fuites urinaires, des saignements prolongés, une chute massive d’hormones, une fatigue extrême, une baisse de libido, une vulnérabilité émotionnelle. Le corps est meurtri, désorienté, souvent inconnu. Et pourtant, ce vécu est minimisé, parfois même nié. Beaucoup de femmes, faute d’information, s’inquiètent de souffrir encore trois mois après l’accouchement. D’autres, convaincues de devoir aller bien, se taisent.

Les études les plus récentes tendent à redéfinir les contours du post-partum. Selon une publication du British Journal of Obstetrics and Gynaecology (2022), 94% des femmes rapportent des symptômes physiques persistants au-delà de six semaines. Un quart d’entre elles souffrent toujours de douleurs périnéales trois mois après. Environ 40% connaissent des troubles du sommeil sévères liés à la fatigue chronique. Et une sur deux ressent encore des douleurs pendant les rapports sexuels six mois après la naissance. Ces chiffres sont alarmants non parce qu’ils sont exceptionnels, mais parce qu’ils sont ignorés.

La récupération du corps est lente, souvent fragmentaire. Le plancher pelvien, par exemple, met des mois à retrouver tonicité et coordination, surtout après un accouchement par voie basse ou une épisiotomie. Trop de femmes n’ont toujours pas accès à la rééducation périnéale, pourtant remboursée en France. D’autres ignorent jusqu’à son existence. De même, la diastase abdominale (écartement des grands droits) est rarement diagnostiquée, alors qu’elle touche jusqu’à 60% des femmes post-partum. Elle entraîne douleurs lombaires, troubles digestifs, difficulté à porter son bébé, et altère l’image corporelle.

À ces douleurs physiques s’ajoute une fatigue systémique. Pas seulement celle des nuits entrecoupées, mais celle de la sollicitation constante, du corps jamais reposé, de l’alerte permanente. Le sommeil paradoxal, indispensable à la récupération psychique, est morcelé, parfois absent. Cette fatigue aggrave le risque de dépression postnatale, amplifie les douleurs physiques et rend toute prise en charge plus complexe. Cependant, peu de femmes osent en parler, par peur d’être jugées faibles, ingrates ou mauvaises mères.

Un corps réel, pas une vitrine

Ce silence collectif est nourri par un discours dominant: celui de la «bonne récupération», de la remise en forme rapide, du «body back». Dans les médias, sur Instagram, dans les salles de sport, la maternité est esthétisée. On glorifie les abdominaux plats trois mois après l’accouchement, les silhouettes toniques avec poussette, les ventres «revenus à la normale». Ce récit-là exclut, culpabilise et invisibilise la majorité des femmes.

Or, le corps maternel ne revient pas. Il évolue, il guérit, il se transforme. Et ce processus est long, singulier, souvent ambivalent. Certaines femmes redécouvrent leur puissance, d’autres se sentent trahies par ce corps qui a changé. Nombreuses sont celles qui oscillent entre fierté d’avoir mis au monde un enfant et tristesse face à leur reflet. Parfois, il ne s’agit pas de poids, mais de sensation: une poitrine engorgée, un périnée engourdi, un ventre distendu. Autant de signes qui méritent d’être nommés et accompagnés.

Les professionnels de santé commencent, peu à peu, à faire évoluer les pratiques. La Haute autorité de santé (HAS) recommande désormais un accompagnement postnatal élargi, incluant non seulement la visite médicale à six semaines, mais aussi un suivi psychologique, des séances de rééducation pelvienne et une sensibilisation aux troubles fréquents. En Suède ou aux Pays-Bas, les sages-femmes assurent des visites à domicile pendant plusieurs semaines après l’accouchement. En France, ces dispositifs existent… mais restent inégalement accessibles selon les territoires.

Il est temps de faire du post-partum une période visible, prise en compte, financée, respectée. D’enseigner dès la grossesse que le corps ne revient pas «comme avant», mais qu’il traverse un deuil, une reconstruction, une mue. Et que cette transformation est normale. Ni honteuse, ni héroïque. Simplement humaine.

Post-partum: un an, pas six semaines

Selon une étude publiée dans The Lancet Global Health (2019), les effets physiques et psychologiques de la maternité peuvent durer jusqu’à 12 mois après l’accouchement. L'OMS recommande désormais un suivi médical et psychosocial jusqu’au premier anniversaire de l’enfant, une révolution encore loin d’être appliquée dans de nombreux pays.

 

Commentaires
  • Aucun commentaire