
À Avignon, une lecture bouleversante remet en relief le procès Pelicot, un an après les audiences. Un oratorio scénique fort pour honorer la parole de Gisèle Pelicot et interroger la justice face aux violences sexuelles.
Moins d’un an après le procès retentissant des viols de Mazan, les mots de Gisèle Pelicot, de ses avocats, de son ex-mari, mais aussi de psychiatres et de journalistes ont résonné vendredi à Avignon, lors d’une soirée de lectures destinée à «prolonger le geste» de cette femme devenue une icône.
«Ce n’est pas pour moi que je témoigne, mais pour toutes ces femmes qui subissent la soumission chimique»: la comédienne Ariane Ascaride est la première à prêter sa voix à Gisèle Pelicot sur la scène du cloître des Carmes, transformée en salle d’audience. Pendant quatre heures, une cinquantaine de protagonistes font revivre les temps forts des trois mois de ce procès hors norme.
«Prolonger le geste de Gisèle Pelicot», qui avait refusé que les audiences, de septembre à décembre 2024, se déroulent à huis clos, «était évident pour tout le monde», explique à l’AFP le metteur en scène suisse Milo Rau, 48 ans, qui avait créé cette nuit de lectures à Vienne, en Autriche, en juin.
Mais il était inconcevable pour lui de ne pas en proposer une version – plus courte et avec des interprètes francophones, à Avignon même, en plein festival de théâtre, à quelques centaines de mètres du tribunal où se sont déroulés les débats autour de cette femme de 72 ans, droguée et violée pendant une dizaine d’années par son mari et des dizaines d’hommes recrutés sur internet.
Pour qualifier cette soirée, Milo Rau, habitué du théâtre documentaire, préfère employer le terme d’«oratorio»: «c’est quelque chose qui est reconstitué, ce ne sont pas seulement des archives, c’est vraiment des réécritures», mais «c’est aussi parce qu’il y a une longueur épique».
Gisèle Pelicot «a fait du tribunal un théâtre, et nous on fait du théâtre un tribunal», souligne le metteur en scène, qui a déjà travaillé à plusieurs reprises à partir d’affaires judiciaires.
«Il y a des moments absurdes, drôles, complexes, horribles, violents», complète-t-il, comme lors de la description des vidéos de viols, qui a valu à l’une des comédiennes d’être submergée par l’émotion.
«Rien de banal»
Au centre du plateau, deux narratrices rappellent les faits, posent les questions et scandent les séquences lues aux deux pupitres de l’avant-scène par les interprètes assis sur des rangées de bancs de bois de part et d’autre de la scène.
Parmi eux, plusieurs comédiens jouant actuellement au festival d’Avignon, à l’instar d’Adama Diop, qui incarne l’un des avocats de Gisèle Pelicot, ou de Philippe Torreton, qui lira un des témoignages de Dominique Pelicot, son ex-mari, qui avait voulu lui «faire payer le prix de sa liberté», et qui a finalement été condamné à 20 ans de réclusion criminelle.
Mais aussi des membres de la société civile comme l’expert psychiatre Laurent Layet, dans son propre rôle au procès, ou l’avocate Anne Lassale et la militante Camille Étienne, reprenant des plaidoiries des avocats de Gisèle Pelicot, qui sera pour sa part également incarnée par Marie-Christine Barrault et Marie Vialle.
Deux dessinatrices judiciaires ayant assisté au procès sont également présentes.
«Pour nous, c’était important d’inviter cette espèce de communauté du procès», raconte la dramaturge Servane Dècle qui, pour constituer le corpus de textes lus sur scène, a travaillé essentiellement à partir de «notes de journalistes», mais aussi de «l’ordonnance de mise en accusation».
«On a également des fragments de tribunes (de presse), d’interviews», ajoute-t-elle, une manière de rendre compte aussi des résonances multiples que cette affaire a pu avoir et continue d’avoir dans la société civile.
«On s’est rendu compte à quel point le cadre même du procès rendait impossible l’accès à une certaine complexité», ajoute-t-elle. Le faire résonner sur scène était aussi une façon de répondre à une certaine «frustration», selon elle, de beaucoup de gens ayant assisté au procès.
Ils avaient envie «qu’on puisse continuer d’en parler et continuer d’essayer de comprendre (...) cette affaire qui est à la fois un exemple parfait de la banalité du viol (...) mais aussi une affaire complètement hors du commun, qui n’a rien de banal du tout», poursuit-elle.
Car Gisèle Pelicot a beau être devenue une «icône», «le procès est quand même resté une forme de faits divers», surtout à l’étranger, relève Milo Rau: alors que «plus on en lit les comptes-rendus, plus on comprend que c’est universel malheureusement».
Avec AFP
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