
Au Festival d’Avignon, Tamara Al Saadi donne voix aux enfants placés à travers Taire, une relecture d’Antigone. Un spectacle entre mythe et témoignages qui alerte sur la situation de l’Aide sociale à l’enfance en France.
«J’ai la chance de pouvoir raconter des histoires qui peuvent visibiliser des personnes qui ne le sont pas. Je m’en saisis»: dans Taire, la Franco-Irakienne Tamara Al Saadi réécrit le mythe d’Antigone pour évoquer les trajectoires brisées des quelque 400 000 enfants placés en France.
Dans ce spectacle présenté à partir de lundi à La FabricA au Festival d’Avignon, dans le sud de la France, la metteuse en scène a imaginé un récit dans lequel deux adolescentes se font face.
D’un côté, Antigone, figure de la révolte, qui ici se refuse à parler pour montrer son opposition au pouvoir royal. De l’autre, Eden, enfant puis jeune adolescente, placée de familles d’accueil en foyer, qui hurle sa colère et sa détresse face au racisme et au travail forcé.
Le secteur de l’Aide sociale à l’enfance en France vacille depuis plusieurs années, ébranlé par un manque de budget, une pénurie de professionnels, un épuisement des acteurs de terrain et une justice saturée.
Une commission d’enquête de l’Assemblée nationale a publié en avril un rapport, dans lequel elle émet plusieurs préconisations, dont une loi de programmation ou encore la création d’une commission réparation.
En 2022, près de 380 000 enfants étaient concernés par des mesures d’ASE, dont 55 % placés hors de leur famille.
«Outil de réflexion»
Sur le plateau, les deux histoires tragiques d’Eden et d’Antigone sont posées tout en délicatesse par une scénographie mêlant univers réaliste ou fantastique. Une partition musicale composée de chants arabes et de bruitages, jouée en live par trois performeurs, ponctue les différents tableaux.
Née à Bagdad pendant la guerre Iran-Irak, arrivée en France à l’âge de cinq ans, Tamara Al Saadi a grandi à Paris, étudié les sciences sociales, s’est formée au métier de comédienne avant de faire un master avec le philosophe et sociologue Bruno Latour à Sciences Po Paris. Dans son travail, qu’elle revendique comme du théâtre «documenté» fait à partir d’«événements vérifiés», les sciences sociales ne sont jamais loin.
«Le parcours d’Eden, son enfance, est très typique», raconte la trentenaire, qui écrit ou met en scène en France depuis 2011. Elle a créé en 2016 sa compagnie La Base, afin de «faire du théâtre un outil d’expression et de réflexion auprès des jeunes».
Pour écrire cette pièce, elle s’est appuyée sur plusieurs recherches, notamment sur des ateliers menés dans les services de pédopsychiatrie ainsi que sur des entretiens avec des enfants placés ou l’ayant été, avec des éducateurs spécialisés et des responsables de l’ASE de la Seine-Saint-Denis et du Gard.
Sa réflexion a aussi été nourrie par des ateliers de théâtre menés avec des adolescents de Paris et de la banlieue nord de la capitale.
Par Karine PERRET / AFP