
Le président français Emmanuel Macron a instauré samedi une journée nationale de commémoration, le 12 juillet, de la réhabilitation par la justice d'Alfred Dreyfus, officier juif injustement accusé de trahison à la fin du XIXe siècle, en appelant à «toujours» rester vigilant «contre les vieux démons» de l'antisémitisme.
«Désormais, chaque 12 juillet, se tiendra une cérémonie de commémoration pour Dreyfus, pour la victoire de la justice et de la vérité contre la haine et l'antisémitisme», a écrit le chef de l'État dans une déclaration aux Français publiée par l'Élysée.
La première cérémonie aura lieu en 2026, pour le 120e anniversaire de la reconnaissance par la Cour de cassation, plus haute instance judiciaire française, de l'innocence du capitaine.
«Ainsi, Alfred Dreyfus et ceux qui combattirent à travers lui pour la liberté, l'égalité et la fraternité continueront d'être l'exemple qui doit inspirer notre conduite», a souligné M. Macron.
«L'Affaire Dreyfus» a déchiré l'opinion française pendant plus d'une décennie sur fond d'antisémitisme et de conspiration politico-militaire.
Accusé à tort d'avoir fourni à l'Allemagne – alors ennemi juré de la France – des renseignements militaires, le capitaine fut condamné le 22 décembre 1894 à la déportation à perpétuité. Entre cette date et sa réhabilitation officielle le 12 juillet 1906, Alfred Dreyfus aura connu deux procès, l'emprisonnement et le bagne sur l'île du Diable en Guyane.
«Hélas, la filiation des héritiers des antidreyfusards, antirépublicains et antisémites du début et du milieu du XXe siècle ne s'est jamais éteinte», a poursuivi le chef de l'État.
«Nous savons qu'il faut toujours faire de preuve de vigilance et persévérance contre ces vieux démons antisémites engendrés par la haine. Et aujourd'hui plus que jamais», a-t-il ajouté.
Entre janvier et mai 2025, 504 actes antisémites ont été recensés en France, selon le ministère de l'Intérieur, soit une baisse de 24% sur un an mais un doublement par rapport à la même période de 2013.
«C'est formidable qu'il y ait une commémoration nationale et annuelle. Ce sera un rappel, tous les ans, de ces valeurs fondamentales qu'aucun Français ne doit oublier et qu'il doit au contraire porter et transmettre», s'est félicitée Anne-Cécile Levy, arrière-petite-fille du capitaine, jointe par l'AFP.
«C'est aussi l'État de droit qu'on célèbre et c'est important en ce moment parce qu'il est remis en cause dans plusieurs pays», estime de son côté son arrière-petit-fils, Michel Dreyfus.
Julien Aubert, vice-président des Républicains (droite), reste plus circonspect. «Faire reculer l'antisémitisme par la réactivation d'une affaire judiciaire vieille d'un siècle? Dans une époque où l'inculture est justement le problème? Mobiliser les jeunes au mois de juillet?», s'est-il interrogé sur X.
«Héros démocratique»
M. Macron n'a finalement pas accédé aux appels à transférer les restes de Dreyfus au Panthéon à Paris, monument funéraire où sont inhumés des grands personnages de l'histoire contemporaine.
L'historien Vincent Duclert, qui plaidait pour un tel geste, a toutefois salué la décision présidentielle.
«À travers elle et les mots qui l'accompagnent, c'est Dreyfus qui est pleinement honoré parce qu'il a été l'artisan courageux, patriote de ce combat pour la justice», a-t-il déclaré à l'AFP.
«Cela permet de transmettre à la jeunesse un savoir de ce qu'est être Français, hier et aujourd'hui, à l'image de Dreyfus que l'on peut très justement qualifier de héros démocratique», a-t-il estimé.
Les détracteurs d'une entrée au Panthéon considèrent pour leur part qu'Alfred Dreyfus, en tant que victime, n'a pas sa place aux côtés des grands hommes.
«Ce serait une rupture par rapport à la tradition de la Ve République», estimait Avner Ben-Amos, historien spécialiste de la mémoire collective à l'université de Tel-Aviv, dans un récent entretien au quotidien Le Monde.
Lors du 100e anniversaire de la réhabilitation en 2006, le président Jacques Chirac avait déjà fait un premier pas avec une cérémonie nationale d'hommage à l'École militaire, sans aller toutefois jusqu'à un transfert au Panthéon, à l'issue d'un débat agité. Il avait alors reconnu que justice ne lui avait «pas complètement été rendue».
Après sa réhabilitation, Alfred Dreyfus, réintégré comme commandant, demanda à voir sa carrière revalorisée, sans obtenir gain de cause, et quitta l'armée en 1907 – avant de servir à nouveau pendant la Première Guerre mondiale.
En juin, l'Assemblée nationale française a approuvé à l'unanimité une proposition de loi visant à élever Alfred Dreyfus, à titre posthume, au grade de général de brigade. Le texte doit encore être approuvé au Sénat, la chambre haute du Parlement.
AFP
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