Sur les pas du saint: Darb Mar Charbel, le «Camino» libanais en marche
Le Liban a son Camino : sur les pas de saint Charbel ©Ici Beyrouth

Un sentier de foi, de silence et de beauté s’apprête à s’ouvrir au cœur du Liban. Sur 130 kilomètres, le futur pèlerinage pédestre Darb Mar Charbel rendra hommage au saint le plus vénéré du pays. Un projet à la fois spirituel, patrimonial et rural, dont le premier tronçon sera inauguré le 20 juillet 2025, jour de sa fête.

Par-delà les cèdres et les vallées, un souffle de sainteté se dessine. C’est une route qui ne mène pas seulement à un sanctuaire, mais à l’âme d’un pays. En 2026, le Liban inaugurera son tout premier sentier de pèlerinage longue distance: Darb Mar Charbel, littéralement «le chemin de Saint Charbel». Inspiré du célèbre Camino de Santiago, ce parcours spirituel de 130 kilomètres traversera une quarantaine de villages, reliera des monastères et des sanctuaires, et redonnera souffle aux itinéraires ancestraux foulés par les saints, les ermites et les croyants. Le parcours complet s’effectuera en une dizaine de jours, selon le rythme des marcheurs.

Né de l’initiative d’une poignée de pèlerins libanais revenus transformés de Compostelle, le projet est porté par l’association Darbessama et géré sur le terrain par le Lebanon Mountain Trail Association (LMTA). À la croisée de l’histoire, de la foi, du tourisme rural et de la protection de l’environnement, Darb Mar Charbel s’impose déjà comme une aventure nationale. Il reliera deux points emblématiques: au nord, le monastère de Saint-Antoine de Qozhaya, dans la vallée sainte de Qannoubine, et au sud, le sanctuaire de Notre-Dame de Harissa. Le cœur du chemin, son «kilomètre zéro», est le couvent d’Annaya, où repose le saint.

Charbel, le moine de lumière

Impossible d’emprunter ce chemin sans connaître celui dont il porte le nom. Youssef Antoun Makhlouf, devenu frère Charbel à son entrée au monastère de Mayfouq, puis saint Charbel après sa canonisation par l’Église en 1977, incarne aux yeux de nombreux Libanais l’humilité absolue et la foi incandescente. Connu pour sa vie ascétique et ses miracles, il est considéré comme l'un des thaumaturges les plus importants de l'histoire contemporaine. Né en 1828 à Bqaa Kafra, le village le plus haut du Liban, il grandit dans les cimes, entre silence et contemplation. À 23 ans, il quitte son foyer pour embrasser la vie monastique.

Après ses années de formation à Mayfouq puis à Annaya, il sera ordonné prêtre à Bkerké. Mais c’est dans l’ermitage de Saint-Pierre et Saint-Paul, perché au-dessus d’Annaya, qu’il choisira de passer les 23 dernières années de sa vie, en prière, jeûne et méditation. Mort en 1898, il devient célèbre pour les miracles qui lui sont attribués et pour le fait que son corps serait resté intact, ainsi que pour les milliers de guérisons survenues par son intercession. Il est aujourd’hui le saint libanais le plus prié, tant au Liban que dans la diaspora, toutes religions confondues.

Un itinéraire spirituel, vivant et ancré dans la terre

«Le chemin reliera les lieux clés de la vie du saint, depuis le monastère de Saint-Antoine de Qozhaya, dans la vallée de Qannoubine, jusqu’au sanctuaire de Harissa, en passant par Bqaa Kafra, Hasroune, Dimane, Hadath El Jebbé, Tannourine, Douma, Mayfouq, Ilige, Ehmej, et bien sûr Annaya, où repose le saint», explique Omar Sakr, directeur exécutif de LMTA, à Ici Beyrouth. Chaque étape a été pensée comme une immersion dans la spiritualité maronite: couvents vivants, chapelles ouvertes, ermitages silencieux, nature intacte.

Ce chemin permet aux marcheurs de redécouvrir la terre de Saint Charbel: les villages où il a vécu, étudié, le couvent où il a été formé, l’ermitage où il a passé plus de deux décennies à prier, méditer et cultiver la terre. Une manière de suivre, pas à pas, la trajectoire mystique d’un homme habité par le silence et la foi, ajoute-t-il.

«Le sentier est divisé en onze stations: sept dans le nord, quatre dans le sud. Nous avons commencé les travaux par trois sections du nord couvrant environ 40 km. Elles seront prêtes en juillet 2025», précise Raymond Zind, membre de la commission d’organisation de l’association Darbessama.

Une relecture des chemins de nos ancêtres

«Ce n’est pas un nouveau sentier, mais la redécouverte des chemins ancestraux que nos aïeux empruntaient entre les villages», souligne Omar Sakr. En collaboration avec les municipalités, les évêchés et l’ordre libanais maronite, l’équipe de Darbessama et LMTA a soigneusement délimité un itinéraire public. Dans chaque village traversé, les habitants ont été associés: jeunes recrutés sur les chantiers, topographes locaux mobilisés, femmes cuisinant pour les ouvriers.

«Nous engageons des jeunes des villages concernés, rémunérés et nourris, pour les travaux d’aménagement», explique Raymond Zind. «Nous achetons ce dont nous avons besoin dans les commerces locaux, autant que possible. Les dames du village leur préparent le déjeuner, et le transport est assuré par des gens du cru.»

«Le chemin emprunte majoritairement d’anciens sentiers de marche, entre forêts et sites naturels, loin des propriétés privées. Nous faisons tout notre possible pour éviter les routes goudronnées, sauf sur de très courtes portions devenues inévitables avec le temps», ajoute-t-il.

Un levier de renaissance rurale

Darb Mar Charbel est aussi un outil de développement local. Le projet repose intégralement sur des dons privés. «Aucune organisation internationale ou institution publique n’est impliquée. Nous tenons à notre indépendance et refusons toute condition extérieure», insiste Raymond Zind. Un système symbolique a été mis en place: «Toute personne peut contribuer en finançant un mètre ou plus du sentier, pour 20 dollars par mètre. Un reçu officiel est délivré par l’association Darbessama.»

Il encourage une forme de tourisme doux: hébergements chez l’habitant, restauration des maisons traditionnelles, promotion des produits locaux. «Tous les petits commerces en bénéficieront», explique Sakr. «Des maisons d’hôtes, des boulangeries, des pharmacies, des guides locaux et même les couvents rouvriront leurs portes pour accueillir.»

«L’objectif est aussi de permettre aux gens de rester sur leurs terres, de valoriser leur patrimoine, de relancer les économies locales autour d’un tourisme doux et respectueux», ajoute Zind.

À terme, Darb Mar Charbel devrait stimuler le tourisme spirituel et rural, renforcer les petites entreprises et maisons d’hôte, et inciter les habitants à investir dans leurs villages.

Un pèlerinage pour l’âme et pour la nature 

Le chemin offre aussi une plongée dans la beauté naturelle du Liban: forêts, vallées, sources, montagnes, rivières et biodiversité. L’équipe de Darbessama s’engage à promouvoir un tourisme responsable, respectueux de l’environnement et des équilibres locaux.

La sensibilisation environnementale fera partie intégrante de l’expérience. Chaque marcheur sera invité à respecter la nature, à ne rien laisser derrière lui, et à se reconnecter avec le vivant. L’idée: marcher lentement, marcher proprement, marcher consciemment.

Une inauguration sur les hauteurs

Le 20 juillet 2025, date de la fête de Saint Charbel, sera inauguré le premier tronçon du chemin, entre Annaya, Lehfed, Mishmish et Mayfouq, long de 16,5 km. «C’est l’une des sections les plus difficiles, mais aussi les plus belles», précise Omar Sakr. Une marche exigeante de 6 à 7 heures attend les pèlerins, en présence du président de la République et du patriarche maronite. Ce jour-là, le Liban fera officiellement son entrée dans la grande tradition des chemins de pèlerinage.

«L’itinéraire complet devrait être achevé d’ici juin 2026, avec une signalétique multilingue (arabe, anglais), des panneaux explicatifs, des espaces de méditation, et un inventaire botanique. Nous prévoyons également un guide imprimé et une application mobile», précise Raymond Zind.

Charbel, toujours vivant

Plus qu’un sentier, Darb Mar Charbel est un appel. Celui de ralentir. De marcher. De respirer. De croire, peut-être. Dans un Liban meurtri, en quête de repères et de lumière, ce chemin redonne une direction – géographique, spirituelle, collective. À la manière du moine silencieux qui priait dans la montagne, il murmure à l’oreille du marcheur:

«Écoute. Marche. Espère.»

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