Faux soins, vrais dangers: enquête sur la contrefaçon cosmétique (1/3)
La contrefaçon cosmétique est devenue un fléau mondial. ©Ici Beyrouth

Première partie d’une enquête en trois volets sur la contrefaçon cosmétique. Même logo, même flacon, même promesse de soin… mais parfois, à l’intérieur, de l’eau, des conservateurs interdits ou rien du tout. Un fléau mondial aussi invisible que toxique.  

Même logo, même emballage, même promesse de «haute protection»… mais à l’intérieur, parfois, de l’eau et quelques épaississants. À la suite d’une enquête menée par le journaliste Hugo Clément et la pharmacienne Laurence Coiffard (Sur le Front, France 5, juin 2025), plusieurs crèmes solaires contrefaites ont été analysées en laboratoire. Résultat: certaines, vendues comme indice 50+, ne contiennent aucun filtre UV. D’autres présentent des taux alarmants de conservateurs interdits. L’une des crèmes testées ne comportait ni substance active, ni agents hydratants, seulement de l’eau traitée et un parfum de synthèse.

Ces produits, souvent commandés sur des plateformes comme Temu, AliExpress, TikTok Shop, Amazon Marketplace ou Vinted, imitent à la perfection des marques reconnues comme La Roche-Posay, Avène ou Vichy. Seule la vérification scientifique permet de déceler la supercherie. À l’œil nu, tout semble conforme. Mais la protection, elle, est illusoire.

Et les crèmes solaires ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Soin du visage, parfums, sérums ou coffrets de luxe: la contrefaçon cosmétique s’étend désormais à une grande variété de produits, avec des imitations toujours plus sophistiquées. Une dérive mondiale aux conséquences bien réelles, que nous poursuivrons dans le second volet de cette enquête.

Hugo Clément publie une alerte vidéo sur les fausses crèmes solaires achetées en ligne:

Une fraude internationale difficile à enrayer

Selon les derniers chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), les contrefaçons de cosmétiques représentent jusqu’à 10% du marché mondial des soins personnels, soit plusieurs milliards d’euros de pertes chaque année.

En 2023, une opération Interpol (Opération Pangea XVI) a permis la saisie de plus de 4 millions d’articles cosmétiques contrefaits dans 89 pays. Les autorités américaines, par l’intermédiaire de la FDA (Food and Drug Administration), ont multiplié les mises en garde: certaines crèmes blanchissantes ou anti-âge contiennent des taux dangereux de mercure ou d’hydroquinone. En Corée du Sud, pays phare de la cosmétique, des lots falsifiés de marques comme Innisfree ou Etude House ont été identifiés sur les circuits parallèles.

Au cœur de la fraude, la formulation. Les tests effectués en laboratoire ont révélé l’absence quasi systématique de filtres solaires actifs (ni dioxyde de titane, ni avobenzone, ni octocrylène) dans les contrefaçons de crèmes SPF 50. À la place, de l’eau purifiée, des épaississants comme la gomme xanthane, parfois du talc, et des conservateurs bon marché.

Plus grave, certaines crèmes contiennent des substances interdites dans l’Union européenne, comme le formaldéhyde, classé cancérogène, ou des parabènes à forte concentration. Ces produits peuvent provoquer irritations, dermites, allergies de contact voire, à long terme, des perturbations endocriniennes.

«Ce qu’il y a de plus dangereux, c’est que l’utilisateur pense être protégé alors qu’il ne l’est pas du tout», alerte Laurence Coiffard. Une exposition prolongée au soleil sans filtre UV réel peut entraîner des coups de soleil graves, un vieillissement accéléré de la peau, et augmenter considérablement le risque de cancers cutanés, notamment de mélanomes.

Les services de dermatologie alertent également sur les réactions allergiques sévères provoquées par ces produits: eczéma aigu, œdèmes, brûlures. L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) signale une part croissante d’effets indésirables liés à des produits de soin achetés sur des circuits non officiels.

Un marché noir dopé par les plateformes

Les plateformes de revente ou d’achat discount, en particulier celles basées hors UE, sont devenues des relais majeurs de la contrefaçon cosmétique. Le manque de régulation, les millions de vendeurs référencés, la livraison transfrontalière sans contrôle douanier systématique: autant de failles qui permettent aux contrefacteurs d’agir presque à visage découvert.

«Le packaging est impeccable, le prix à peine plus bas que l’original, tout est fait pour inspirer confiance», explique Julie Carpentier, experte à l’association UFC-Que Choisir. Les micro-influenceurs, parfois inconscients du risque, relaient ces produits en vantant leur efficacité, contre un partenariat ou un simple envoi gratuit.

Les douanes françaises, malgré une recrudescence des saisies (plus de 100.000 articles en 2024), peinent à suivre le rythme. Le phénomène est comparable à celui des faux médicaments: les canaux sont souterrains, les victimes invisibles. Une réalité inquiétante que l’on observe déjà en France… mais qui, hélas, s’étend bien au-delà: la contrefaçon cosmétique est désormais un fléau mondial.

À suivre: Demain, deuxième volet de notre enquête: au Liban, la prolifération incontrôlée de faux produits de soin via Instagram et WhatsApp. Derrière des comptes séduisants, des vendeurs assurés écoulent des contrefaçons au détriment de la santé publique.

 

 

Le laboratoire démasque la fraude

Dans l’émission Sur le Front, les tests réalisés par le laboratoire universitaire de Nantes ont révélé:
- Crème «Anthelios 50+» (achetée sur Temu): aucun filtre UV, seulement de l’eau, un épaississant et du parfum synthétique.
- «Innisfree SPF 35» contrefaite: filtre solaire obsolète interdit dans l’UE, présence de butylparaben.
- Crème «éclaircissante bio» sans marque: taux élevé de nickel et allergènes non déclarés.
Les méthodes utilisées, spectrophotométrie UV et chromatographie liquide, permettent de détecter avec précision l’absence ou la toxicité des composants.

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