Le Liban se dotera-t-il de tours d'observation à la frontière avec Israël ?
©Ici Beyrouth

Des tours de contrôle à la frontière avec Israël? Un projet ambitieux, qui se heurte toutefois à de nombreux obstacles d’ordre politique.

Porté par les Britanniques, ce projet n’est pas récent. Il avait été soumis aux autorités libanaises en 2024, et ce, à deux reprises. C’était à l’époque où les négociations autour de l’accord de cessez-le-feu, conclu le 27 novembre 2024, entre le Liban et Israël battaient leur plein. L’initiative n’avait alors suscité qu’un intérêt prudent de la part des autorités libanaises, au vu de la conjoncture politico-sécuritaire qui prévaut depuis le début de la guerre déclenchée, le 7 octobre 2023, par l’offensive du Hamas contre Israël et qui s’est étendue ensuite sur le territoire libanais, avec l’implication du Hezbollah sous prétexte de l’unité des fronts. L’enjeu dépassait donc (et dépasse encore) le simple volet technique.

Aujourd’hui, le Royaume-Uni relance la proposition. Lors de sa visite à Beyrouth, samedi dernier, le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a remis ce projet sur la table, avançant l’argument de la nécessité de renforcer la surveillance de la ligne de démarcation et d'aider l’armée libanaise à garantir la souveraineté du pays dans une zone aussi sensible que disputée.

Pour comprendre la portée de ce plan, il faut se tourner vers le nord et le nord-est du pays, là où les Britanniques et les Américains ont déjà concrétisé, depuis plus d’une décennie, un projet similaire. En effet, en 2012, quelque 80 (76 selon certains experts) postes d’observation ont été érigés sur l’axe frontalier (de 375 km de long) allant de la côte d'Arida jusqu’à Rachaya, sur la frontière libano-syrienne.

Ces tours, regroupées au sein de quatre régiments frontaliers spécialisés, ont été implantées sur des collines stratégiques, offrant une vue dégagée sur les zones de passage sensibles, historiquement poreuses aux trafics d’armes, de drogue, d’hommes et de marchandises. Elles constituent un dispositif de surveillance intégré, mis en place à la demande de l’armée libanaise avec un appui logistique et technique tant du Royaume-Uni que des États-Unis, explique-t-on à Ici Beyrouth de source sécuritaire bien informée.

Conçue pour être autonome, non-intrusive et exclusivement contrôlée par les forces libanaises, chaque tour est équipée de caméras thermiques, de systèmes de détection de mouvements et parfois d’antennes de communication cryptée. «Aucun personnel étranger n’est autorisé à y accéder et les données collectées sont transmises directement au ministère libanais de la Défense», assure-t-on de source susmentionnée.

Connectées à des salles d’opérations où sont centralisées les informations, ces tours permettent une surveillance accrue jour et nuit. L’ensemble est capable d’enregistrer en continu les mouvements dans un rayon pouvant atteindre 10 km, sans couvrir toutefois la totalité des zones. Les zones non couvertes font donc l’objet de patrouilles régulières. En moyenne, chaque tour accueille une trentaine de soldats, selon sa taille et son emplacement.

«Ces tours ne sont ni des instruments d’espionnage ni des outils d'ingérence. Elles servent exclusivement à l’armée libanaise pour surveiller son propre territoire», signale, dans ce contexte, un responsable militaire ayant requis l’anonymat. Et de poursuivre: «Aucun personnel étranger n’est autorisé à y accéder et les données collectées sont transmises directement au ministère libanais de la Défense». Une précision importante, tant la question de la souveraineté reste au cœur du débat.

À la frontière libano-israélienne, une tout autre équation

Transposer ce modèle à la frontière sud du pays n’est pas chose aisée, s’accordent à affirmer plusieurs experts militaires interrogés par Ici Beyrouth. Le contexte y est radicalement différent. Si, dans le nord et le nord-est du pays, la menace principale réside dans l’infiltration de groupes armés et les trafics transfrontaliers, la frontière sud, elle, «est une poudrière géopolitique dominée depuis des décennies par la présence armée du Hezbollah et les violations fréquentes de la souveraineté libanaise par Israël», note-t-on de même source.

Selon ces experts, c’est précisément cette dualité qui complique l’implantation de tours de contrôle dans la zone frontalière avec l’État hébreu. «Il est hautement improbable qu’Israël accepte que ses frontières soient surveillées par un système qui permettrait au Hezbollah d'avoir potentiellement accès aux données collectées», souligne-t-on, à cet égard. Une réticence que partage, en miroir, le Hezbollah, qui soupçonne toute initiative occidentale d’être un cheval de Troie destiné à transmettre des renseignements à Tel-Aviv, poursuit-on.  

Des accusations que réfute catégoriquement un spécialiste du renseignement: «Scientifiquement et techniquement, il est impossible que ces tours transmettent des données ailleurs qu’au commandement libanais». «Plus encore, aucun attentat ciblé, aucune frappe militaire ne peut s’opérer sans présence humaine ou renseignement de terrain. Ces technologies, aussi avancées soient-elles, n’agissent donc pas seules», précise-t-il. Et de confier à Ici Beyrouth que d’ici à la fin du mois d’août, des experts américains sont attendus à Beyrouth, pour étudier de près la question de la sécurité des frontières et la possibilité d’y installer des postes d’observation. 

Une guerre des tours déjà en cours

Le paradoxe est d’autant plus frappant que des tours de surveillance existent déjà dans cette région… mais elles ne sont pas libanaises. Depuis des années, le Hezbollah a érigé son propre réseau de tours, aussi basiques soient-elles, le long de la frontière avec Israël, souvent camouflées, certaines arborant ostensiblement le drapeau du parti chiite.

Depuis le déclenchement des hostilités entre le Hezbollah et Israël en octobre 2023, plusieurs, voire la totalité de ces tours ont été ciblées et détruites par l’aviation israélienne. Cette guerre des postes d’observation illustre à quel point le territoire frontalier est devenu un terrain de rivalités technologiques autant que militaires.

Dans ce contexte, la proposition britannique «pourrait apparaître comme une tentative de restaurer un minimum de contrôle étatique au sein d’un territoire devenu le théâtre d’une souveraineté disputée», indique-t-on de même source. Selon certains médias libanais, la priorité reste «l’application intégrale du cessez-le-feu, l’arrêt des violations israéliennes et le retrait des forces israéliennes des cinq points encore occupés». En d’autres termes: pas de surveillance sans souveraineté complète. Or, qui dit souveraineté dit monopole des armes par l’Etat, un objectif qui n’a pas encore été atteint…

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