
Alors que les intelligences artificielles génératives s’invitent dans les salles de classe, les bureaux et même les conversations du quotidien, une étude du MIT soulève une question dérangeante: et si ChatGPT, en facilitant nos tâches mentales, nous rendait… un peu moins intelligents?
Une équipe de chercheurs du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) a récemment publié une étude préliminaire analysant l’impact de l’usage de ChatGPT sur l’activité cérébrale humaine. Menée par la neuroscientifique Nataliya Kosmyna et ses collègues du MIT Media Lab, cette recherche repose sur une méthode peu commune: combiner des tests de production écrite, de mémoire et des enregistrements EEG (électroencéphalogrammes) à 32 capteurs pour observer en direct le fonctionnement du cerveau. L’objectif? Comparer les effets cognitifs de l’usage de ChatGPT, de Google ou d’aucun outil numérique pendant une tâche de rédaction.
Les résultats, publiés en mai 2025 sous le titre évocateur Your Brain on ChatGPT (MIT Media Lab, 2025), sont troublants. Les personnes ayant utilisé ChatGPT affichaient non seulement une activité cérébrale plus faible, mais également une connectivité neuronale réduite. Autrement dit, leur cerveau travaillait moins.
Le signal d’alarme des chercheurs ne porte pas sur la paresse cognitive ponctuelle, mais sur ce qu’ils nomment une «dette cognitive», à savoir une perte progressive d’habiletés mentales fondamentales, comme la mémoire, la créativité, ou l’attention soutenue.
Dans les faits, les participants du groupe «ChatGPT» ont produit des textes moins originaux que ceux du groupe «sans aide», ont retenu moins d’informations sur les sujets traités et ont ensuite peiné à effectuer des tâches similaires sans l’assistance de l’IA. L’étude note aussi une diminution notable des ondes alpha et thêta, associées à la mémoire de travail et à la concentration.
Cette recherche, bien qu’exploratoire, vient s’ajouter à un faisceau d’alertes venues du monde scientifique. Une chronique du New Yorker en juin 2025 parle même d’un «appauvrissement mental collectif», où l’IA tend à homogénéiser nos idées et à déléguer les efforts créatifs à des machines bien entraînées, mais dénuées de subjectivité (The New Yorker, 2025).
Peut-on penser sans effort?
Le débat dépasse les neurosciences. Car l’efficacité de ChatGPT repose sur ce qu’il fait de mieux: réduire le coût cognitif d’une tâche. En générant des réponses, des textes ou des idées en quelques secondes, il supprime la phase de «friction mentale» souvent pénible, mais essentielle pour apprendre, créer et mémoriser.
«C’est un peu comme confier ses trajets quotidiens à une voiture autonome», explique le philosophe britannique Henry Shevlin, spécialiste de l’IA à l’université de Cambridge. «C’est pratique, mais à long terme, on désapprend à conduire.»
Shevlin ajoute: «Ce n’est pas l’outil qui est dangereux, c’est l’usage qu’on en fait. Une IA peut aider à penser, à clarifier ou à structurer. Mais si elle pense à notre place, le risque de désengagement cognitif est réel.»
Et c’est justement ce que montrent les résultats du MIT: les étudiants qui ont utilisé ChatGPT de manière passive, en acceptant les réponses telles quelles, sans relecture ni modification, sont aussi ceux dont l’activité neuronale a le plus chuté.
Une observation renforcée par des tests de mémoire réalisés après coup: les participants ayant copié-collé les réponses de l’IA ont retenu 20 à 30% de contenu en moins que ceux qui avaient rédigé eux-mêmes ou même fait leurs recherches sur Google.
À l’inverse, ceux qui ont utilisé ChatGPT comme un partenaire de réflexion, en posant des questions, en comparant des versions, en modifiant les réponses, ont maintenu une activité cérébrale significative.
Faut-il paniquer? Non. Réfléchir? Oui.
Utilisé avec discernement, ChatGPT peut être un outil pédagogique fascinant. Il peut stimuler la curiosité, simplifier l’accès à l’information et même aider à structurer la pensée. Mais utilisé de façon passive, comme une machine à réponses, il risque de court-circuiter les mécanismes mêmes de l’apprentissage.
L’enjeu est donc d’ordre pédagogique, culturel et peut-être même existentiel: voulons-nous continuer à penser par nous-mêmes ou simplement déléguer la pensée à une machine fluide et polie?
Comme toujours, le progrès technologique ne devient dangereux que s’il est adopté sans conscience. Et si le cerveau est un muscle, alors c’est à nous de choisir s’il s’endort… ou s’entraîne.
Que montre l’étude chez les plus jeunes?
L’étude n’a porté que sur de jeunes adultes, mais plusieurs experts, dont le neuropsychologue Michel Desmurget (auteur de La Fabrique du crétin digital), tirent la sonnette d’alarme pour les enfants et les adolescents. «Le cerveau en développement est malléable. Si on le nourrit d’automatismes, de contenus prémâchés, il ne forme pas les connexions profondes nécessaires à la pensée critique», rappelle-t-il dans une tribune publiée sur France Culture.
Aux États-Unis, le New York Post a récemment rapporté une vague d’inquiétude dans les écoles, où des enseignants notent une baisse du niveau de compréhension et d’écriture chez les élèves qui abusent des IA génératives (NYPost, 2025).
Certaines écoles britanniques expérimentent même des zones «No AI» pour stimuler la pensée autonome et restaurer le goût de l’effort cognitif.
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