Raphaël Rodriguez, le chimiste français qui s’attaque au talon d’Achille des cellules cancéreuses
Raphaël Rodriguez active le fer des cellules cancéreuses pour les faire imploser. ©Ici Beyrouth

Raphaël Rodriguez, chimiste au CNRS et à l’Institut Curie, a identifié une faiblesse cruciale des cellules métastatiques: leur surcharge en fer. En développant la fentomycine, il ouvre une voie prometteuse pour éliminer ces cellules jusqu’ici quasi indestructibles.  

À l’Institut Curie, au cœur de Paris, un chimiste discret s’attaque à l’un des grands mystères de la cancérologie contemporaine. Raphaël Rodriguez, directeur de recherche au CNRS, travaille depuis des années à comprendre comment les cellules métastatiques – ces cellules tumorales disséminées, dormantes, souvent insensibles aux traitements – parviennent à défier la médecine. Et surtout, comment les vaincre. Sa dernière découverte, saluée dans une étude publiée en mai 2025 dans Nature (Rodriguez et al., Nature, 2025), propose une réponse aussi élégante que radicale: exploiter le fer contre le cancer.

Les cellules métastatiques les plus agressives, notamment celles exprimant fortement la protéine CD44^ high (c’est-à-dire présentant une forte expression de CD44, une protéine associée aux formes les plus invasives du cancer), ont une particularité: elles stockent du fer en quantité bien supérieure à la normale. Ce métal est essentiel à leur survie et à leur agressivité, mais ce trop-plein devient une faiblesse. Les chercheurs ont découvert que ces cellules contiennent une réserve de fer libre qui les rend particulièrement sensibles à un phénomène appelé ferroptose.

Faire du fer une arme

Le principe est aussi simple que redoutable. Le fer, en réagissant avec certains oxydants à l’intérieur des cellules, produit des radicaux libres. Ce phénomène, bien connu sous le nom de réaction de Fenton, peut entraîner une peroxydation massive des lipides, notamment dans les membranes. Cette cascade biochimique aboutit à une forme spécifique de mort cellulaire appelée ferroptose, littéralement: la mort par le fer.

Pour exploiter cette vulnérabilité, Rodriguez et son équipe ont conçu une molécule inédite, la fentomycine‑1 (Fento‑1). Cette molécule bifonctionnelle possède deux propriétés essentielles: elle s’attache aux membranes cellulaires, puis est internalisée dans les lysosomes, les organites chargés du recyclage cellulaire. C’est là que le fer est le plus actif.

Une fois dans les lysosomes, Fento‑1 interagit avec le fer pour générer des radicaux hydroxyles très réactifs. Ces derniers attaquent la membrane lysosomale, qui éclate, libérant enzymes et ions ferreux dans le cytoplasme. La cellule entre alors en auto-destruction oxydative.

Les résultats sont impressionnants. In vitro, Fento‑1 élimine efficacement les cellules CD44 issues de sarcomes et de cancers pancréatiques. Sur des biopsies humaines ex vivo, la molécule s’attaque aux cellules dormantes, souvent insensibles à la chimiothérapie. Et dans des modèles murins, notamment sur le cancer du sein triple négatif, l’injection intranodale de Fento‑1 entraîne une réduction marquée de la masse tumorale, sans effet toxique majeur observé (Nature, 2025).

Cette approche représente bien plus qu’une nouvelle molécule: elle modifie la stratégie même du traitement. Là où la médecine ciblait jusqu’ici les mutations génétiques ou les cellules en prolifération active, elle s’attaque ici à une caractéristique métabolique stable: le stockage intracellulaire du fer. Selon Rodriguez, il s’agit d’un véritable changement de paradigme: la cible n’est plus uniquement génétique, mais biochimique. Une manière inédite de penser la vulnérabilité des métastases.

Quant à la suite, elle se prépare activement. Des essais cliniques de phase I sont envisagés, pour évaluer la tolérance de Fento‑1 chez l’humain. Des variantes sont aussi à l’étude pour améliorer la biodisponibilité de la molécule. À terme, cette nouvelle classe thérapeutique pourrait cibler les métastases dormantes, responsables d’environ 70% des décès par cancer, selon l’Institut Curie.

Rodriguez, déjà reconnu pour ses travaux sur les radicaux libres et le stress oxydatif, poursuit ainsi un fil rouge intellectuel: transformer les dérèglements internes de la cellule en levier thérapeutique. Il appartient à cette génération de chercheurs qui lit la complexité biologique comme un langage, et cherche à y glisser des réponses chimiques d’une précision chirurgicale.

 

La ferroptose, mode d’emploi

Identifiée en 2012, la ferroptose est une forme de mort cellulaire distincte de l’apoptose. Elle repose sur l’accumulation de fer libre et l’oxydation incontrôlée des lipides membranaires. Ce processus conduit à la destruction des membranes cellulaires, provoquant l’effondrement de la cellule. De plus en plus étudiée, la ferroptose constitue aujourd’hui une piste thérapeutique majeure contre les cancers résistants, notamment les métastases dormantes qui échappent aux traitements traditionnels.

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