Travailleuses migrantes: sous contrat, hors-la-loi!
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Elles arrivent au Liban en quête de travail, d’un salaire, parfois d’un avenir. Mais pour nombre de travailleuses domestiques étrangères, le rêve se transforme en cauchemar. Derrière certaines agences de recrutement et sociétés de nettoyage, une économie parallèle prospère: celle de la traite humaine, maquillée en emploi légal. 

Le dossier des «nuits rouges», mêlant prostitution et traite humaine, a récemment refait surface. Plusieurs arrestations ont eu lieu, mais une grande partie des dessous de ce trafic reste dans l’ombre. Ce n’est plus un simple problème de travailleuses qui fuient ou d’administration en retard: on est face à un véritable problème de sécurité publique.

Témoignage: le piège de Nancy

Dans un quartier du Metn nord, Mirna, une Libanaise, s’est rendue dans une agence de recrutement agréée dans l’espoir de trouver une aide pour les tâches ménagères. Elle engagea une jeune Éthiopienne prénommée Nancy, discrète, polie et apparemment motivée. Mais deux semaines plus tard, Nancy disparaît sans laisser de trace.

D’abord déconcertée, Mirna mène sa propre enquête. Elle appelle l’agence, interroge ses voisins, consulte des amis dans le secteur du recrutement. Progressivement, elle découvre l’impensable: Nancy n’a pas fui sur un coup de tête. Elle avait été en contact avec une compatriote déjà installée au Liban, qui l’a convaincue de rejoindre un réseau de «travail de nuit», lui promettant une vie plus facile et mieux rémunérée. Et derrière cette transition: une structure bien huilée, protégée par des apparences légales.

Des complicités en haut lieu?

Ce témoignage n’est qu’un fragment d’une réalité bien plus vaste. Le président du syndicat des agences de recrutement, Joseph Saliba, insiste sur la confusion qui règne dans l’opinion publique entre agences agréées et courtiers illégaux. Ces derniers se font passer pour des professionnels, alors qu’ils n’ont aucune existence légale. Ils publient des annonces trompeuses sur les réseaux sociaux, exploitant l’ignorance de certains citoyens et expatriés.

Saliba précise que les agences officielles, qui représentent 85% du secteur, sont strictement encadrées par le ministère du Travail et la Sûreté générale, et qu’elles peuvent être immédiatement sanctionnées en cas de non-conformité. Il affirme également que ces agences ne proposent que des contrats annuels, et n'ont rien à voir avec le travail à la journée ou à l’heure, pourtant devenu monnaie courante – en totale violation de la loi.

Il pointe également la responsabilité de certaines entreprises de nettoyage qui exploitent des femmes sans permis de séjour régulier, en toute impunité. «Si les agences peuvent être fermées par une simple décision administrative, pourquoi ces entreprises échappent-elles à tout contrôle?», s’interroge-t-il.

Saliba appelle aussi les municipalités à agir. Certaines zones, comme Nabaa, Bourj Hammoud, Sabra ou Ouzaï, sont devenues des lieux d’hébergement illégal pour des dizaines de femmes exploitées, sans que les autorités locales ne réagissent.

Un système en réseau: fausses agences, vraies victimes

Avec la multiplication des cas signalés, on comprend que ce phénomène dépasse les simples violations individuelles. Il s’agit d’un système structuré, avec des complicités à plusieurs niveaux.

Selon une source sécuritaire interrogée par Houna Loubnan, des réseaux organisés, composés de Libanais et de Syriens, exploitent ces travailleuses dans plusieurs zones: Bourj Hammoud, Dora, Maameltein, Ouzaï. Il évoque également l’existence de «garants fictifs»: des individus qui, moyennant 300 à 500 dollars, enregistrent une travailleuse sous leur nom, permettant ainsi à certaines agences de contourner les quotas officiels. Les travailleuses sont ensuite «revendues» sur le marché noir, où leur exploitation peut atteindre jusqu’à 800 dollars par mois, en raison de la forte demande et de l’absence d’alternatives légales.

Le mode opératoire est rodé: des agences «respectables» renouvellent fictivement les permis de séjour, enregistrent les femmes comme aides ménagères, puis les redirigent vers des activités illégales.

Leur encadrement disparaît, leur liberté aussi. Téléphones confisqués. Contacts extérieurs coupés. Logements dissimulés. En surface: une employée domestique. En coulisse: une femme livrée au marché noir du sexe.

Des sanctions théoriques, un État absent

Des amendes ont bien été annoncées: jusqu’à 60 millions de livres libanaises pour ceux qui emploient du personnel non déclaré. Mais sur le terrain, rien ne bouge. Pas d’arrestations systématiques. Pas de fermetures. Pas de poursuites.

Pire: plusieurs responsables de ces réseaux ont déjà été arrêtés… puis relâchés. Et ils ont repris leurs activités comme si de rien n’était.

Tant que les institutions ferment les yeux, ces femmes resteront piégées dans un pays qui vend leur dignité pour quelques dollars.

 

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