
Swipe, like, ghost: bienvenue dans le supermarché émotionnel du dating en ligne. Les applications promettent l’amour au bout du doigt. Mais entre la profusion de profils, la quête de validation et les échanges sans lendemain, beaucoup d’utilisateurs ressortent fatigués, vides et déconnectés.
Depuis l’arrivée de Tinder, Hinge ou Bumble, les rencontres amoureuses ont pris des allures de shopping digital. On choisit un profil, on rejette un autre, puis on recommence. Un geste, un swipe, et l’illusion du choix infini recommence. Ce qui était censé faciliter les rencontres finit par user les nerfs. L’amour devient un produit, le lien un objectif secondaire.
Ce phénomène est désormais bien documenté. Une étude australienne de 2020 sur les utilisateurs d'applications à balayage montre qu’ils présentent deux fois plus de risques de souffrir d’anxiété ou de dépression que les non-utilisateurs. Plus on utilise ces applis, plus les effets négatifs se font sentir. Ce n’est donc pas seulement un passe-temps, mais une véritable pression sur la santé mentale.
Les témoignages le confirment. Une enquête menée en juin 2025 dans une université américaine rapporte un sentiment de lassitude généralisée: entre «fatigue du swipe» et solitude, les jeunes racontent la même mécanique: discussions répétitives, silences soudains, puis le vide. Même en période de Pride Month, beaucoup expriment la même impression, celle de se sentir épuisé malgré la multiplication des contacts.
Les professionnels de santé mentale s’alarment aussi. Dans un article publié par Men’s Journal en mai 2025, des thérapeutes parlent d’addiction au swipe, de «burn-out affectif» et d’effets comparables à ceux d’un jeu vidéo répétitif: on cherche la récompense, le match et... le petit frisson. Mais ce plaisir est court, vite remplacé par un manque. Ils appellent à repenser nos habitudes de dating numérique.
Les pratiques problématiques se multiplient: ghosting (cesser toute communication sans explication), breadcrumbing (donner de faux espoirs), benching (garder quelqu’un sous le coude)… Le tout facilité par l’anonymat, l’absence de conséquences et la profusion de choix. On zappe plus vite, on s’investit moins, on disparaît sans se retourner.
Derrière ces comportements, les mécanismes psychologiques sont clairs: l’interface est conçue comme un jeu. Chaque match agit comme une mini-récompense. Une notification active une dose de dopamine. On ne cherche plus forcément à rencontrer, mais à se rassurer, à se distraire. Comme le décrit un article de Medium, c’est un «supermarché hanté par la solitude» où l’on consomme des visages plus qu’on ne rencontre des personnes. Les profils sont filtrés, optimisés, présentés comme des produits.
Les effets sont nombreux. D’abord, cette abondance de choix rend indécis. On croit que la bonne personne est toujours ailleurs. Ensuite, la validation extérieure devient une norme: on swipe juste pour exister, on mesure sa valeur au nombre de likes. Si rien ne bouge, le doute s’installe: «je ne plais pas», «je ne vaux rien». Résultat: baisse de l’estime de soi, lassitude affective et isolement croissant.
Finalement, ces applis créées pour rapprocher finissent souvent par isoler davantage. Elles alimentent la peur: peur de passer à côté, de ne pas être choisi, de ne pas être à la hauteur. On se retrouve avec des dizaines de matchs mais sans véritable lien. Une génération entière se dit connectée… mais profondément seule.
Que faire alors? Les spécialistes recommandent d’en limiter l’usage: fixer une durée quotidienne, désactiver les notifications, éviter de swiper sans but. Il s’agit aussi de revenir au réel: sortir, parler, partager un café. Et surtout, repenser ce que l’on cherche: un partenaire, pas une performance. De nouvelles initiatives apparaissent: les rencontres «en vrai», les discussions guidées, les applis misant sur les affinités et non sur l’apparence.
Car au fond, le paradoxe est cruel, puisque ces outils censés créer du lien renforcent souvent la solitude. Ils ne la suppriment pas, ils la déplacent. Le vrai lien ne vient pas d’un algorithme, mais d’un échange humain, d’un regard, d’un moment partagé, hors écran, face à face, là où les pixels ne suffisent plus.
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Une appli sur deux… pour booster l’ego?
Selon une étude de l’Université de Genève (2023), près de 50% des utilisateurs d’applications de rencontre n’y vont pas pour trouver l’amour, mais pour booster leur estime de soi. Likes, compliments, ou simples distractions: chez les moins de 30 ans, le swipe devient un réflexe émotionnel plus qu’un vrai projet relationnel.
(Source: Université de Genève, Dating apps and self-esteem, 2023)
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