BRICS à Rio: un géant sans capitaine face à la fragmentation du monde
Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva (à droite) prend la parole aux côtés du Premier ministre indien Narendra Modi (à gauche) lors de la première session plénière du sommet des BRICS à Rio de Janeiro, au Brésil. © AFP

Ils étaient censés incarner l’alternative. À Rio de Janeiro, les BRICS+, ce groupe élargi de puissances émergentes, ont affiché un poids impressionnant: plus de 50% de la population mondiale, environ 40% du PIB global. Mais le sommet des 6 et 7 juillet aura surtout souligné leurs limites: un manque de leadership criant, une cohésion introuvable et une ligne politique aussi floue que prudente.

Un sommet sans tête d’affiche

L’image est frappante: sur la photo de famille du sommet, manquent les deux figures les plus attendues. Xi Jinping est absent pour la première fois depuis 2012. Officiellement pour «conflit d’agenda». Officieusement, en raison du climat tendu avec les États-Unis, alors que Donald Trump, de retour à la Maison Blanche, menace d’imposer 10% de droits de douane supplémentaires à tout pays qu’il juge «hostile à l’économie américaine».

Vladimir Poutine, lui, intervient depuis Moscou, toujours sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. Il se contente d’un message lisse: saluer «l’autorité croissante» des BRICS. Rien de plus.

Dès l’ouverture, c’est donc le Brésilien Lula qui tient la barre. Le président dénonce «l’effondrement du multilatéralisme», appelle à ne pas «rester indifférent au génocide à Gaza», et plaide pour une réforme des institutions internationales. Mais ses appels ont trouvé peu d’écho au sein du groupe.

Le communiqué final du sommet, marqué par la prudence, n’a pas nommé explicitement Israël ou les États-Unis dans la condamnation des attaques contre l’Iran, ni formulé de réponse coordonnée aux menaces douanières américaines. À défaut d’un cap clair, le sommet a surtout révélé l’ampleur des divisions internes.

Un élargissement… qui disperse

Créé au début des années 2000 par l’économiste Jim O’Neill, le groupe BRICS a longtemps été présenté comme un contrepoids économique aux puissances occidentales traditionnelles.

En 2023, ce cercle s’est élargi à six nouveaux membres, devenant le BRICS+, avec l’intégration de l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Indonésie et l’Éthiopie. Cette expansion visait à donner un second souffle au groupe tout en assurant une meilleure représentativité du Sud global. Mais à Rio, cette diversité s’est muée en dispersion.

L’Arabie saoudite, proche alliée des États-Unis, a évité les séances plénières, sans explication officielle. L’Iran, encore marqué par un conflit de douze jours avec Israël et les États-Unis, a réclamé une position ferme, mais n’a obtenu qu’un communiqué édulcoré. L’Égypte, pourtant acteur clé sur Gaza, est restée muette. Même la mention de la solution à deux États pour Israël et la Palestine a suscité des frictions. Téhéran l’aurait jugée trop alignée sur les positions onusiennes.

Cette fragmentation se manifeste également sur le plan économique. Face au renforcement du protectionnisme américain, incarné par la menace de droits de douane supplémentaires, le groupe n’a pas réussi à formuler une riposte collective. Chacun suit sa propre stratégie: Pékin cherche avant tout à stabiliser ses exportations, New Delhi évite de prendre une posture frontale, tandis que d’autres membres préfèrent temporiser, par crainte de froisser Washington. L’ennemi commun ne suffit pas à créer une solidarité économique tangible.

Une multipolarité sans cap

Sur le papier, les BRICS+ pèsent lourd. Selon les dernières données du FMI, le groupe produit 31,5% des richesses mondiales (contre 30,7% pour le G7). Mais dans les faits, il reste une coalition sans colonne vertébrale. Pas d’idéologie commune. Pas de stratégie partagée sur l’Ukraine, sur Gaza, sur le climat ou l’intelligence artificielle. Le Brésil a bien tenté de poser des priorités: gouvernance de l’IA, réforme climatique, nouveaux mécanismes de financement. Mais sans moteurs politiques, les propositions restent déclaratives.

«Le BRICS est un forum de coordination utile, mais ce n’est pas une alliance stratégique», résume l’économiste Sébastien Jean (IFRI) dans Les Echos.

À Rio, le groupe s’est voulu le fer de lance d’un monde multipolaire. Mais faute de leadership clair, il reflète davantage la complexité et les tensions du contexte international qu’il ne parvient à structurer.

Dans un contexte mondial marqué par l’érosion des alliances traditionnelles, les BRICS+ disposaient d’une opportunité pour incarner une alternative crédible.  Aujourd’hui, ils restent essentiellement un espace de dialogue, sans ligne directrice clairement définie, sans chef de file affirmé, ni leviers d’action concrets.

Le sommet a, au final, mis en lumière cette double réalité: une puissance démographique et économique incontestable, associée à des défis internes de coordination et d’orientation politique qui influenceront la capacité du groupe à peser durablement dans la recomposition du système mondial.

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