
Au cœur de la nouvelle escalade militaire entre l’Iran et Israël, un mot revient sans cesse: centrifugeuses. Ces machines, clés du programme nucléaire iranien, sont devenues la cible prioritaire des frappes israéliennes, qui cherchent à freiner la course de Téhéran vers l’arme atomique. Décryptage.
Depuis vendredi, et le début de l’escalade militaire entre l’Iran et Israël, un mot revient en boucle dans les communiqués militaires et les analyses géopolitiques: centrifugeuses. Ce mercredi matin encore, l’armée israélienne a annoncé avoir frappé de nouveaux sites de production de centrifugeuses dans la région de Téhéran.
C’est la dernière attaque en date d’une série de frappes menées par Israël contre des infrastructures nucléaires iraniennes. Objectif: affaiblir la capacité de la République islamique à enrichir de l’uranium à des fins militaires. Mais pourquoi viser ces fameuses centrifugeuses?
Qu’est-ce qu’une centrifugeuse nucléaire?
Une centrifugeuse nucléaire est une machine utilisée pour enrichir de l’uranium. L’uranium naturel contient principalement un isotope stable, l’uranium 238, inutile pour produire de l’énergie ou une arme. L’isotope recherché est l’uranium 235, beaucoup plus rare (moins de 1% dans la nature), mais capable de provoquer une réaction en chaîne.
Pour l’isoler, l’uranium est transformé en un gaz – l’hexafluorure d’uranium (UF₆) – injecté dans des centrifugeuses tournant à très haute vitesse. La force centrifuge permet une séparation progressive des isotopes plus lourds (U-238) des plus légers (U-235). En répétant ce processus dans des milliers de centrifugeuses interconnectées, appelées «cascades», on obtient de l’uranium enrichi.
Un uranium enrichi à 3 à 5 % suffit pour une centrale nucléaire civile, notamment pour produire de l’électricité. À 20%, il peut être utilisé dans des réacteurs de recherche à usage civil ou pour la production d’isotopes médicaux, mais il marque aussi une étape critique vers l’enrichissement militaire. À 60%, comme c’est le cas aujourd’hui en Iran, l’uranium est à deux doigts d’atteindre le seuil militaire de 90 % nécessaire pour fabriquer une arme nucléaire.
C’est ainsi que les centrifugeuses sont au cœur des tensions internationales, car la technologie d’enrichissement peut servir à des fins civiles (production d’énergie), mais aussi militaires (fabrication de bombes). C’est pourquoi le développement ou la possession de centrifugeuses sont étroitement surveillés par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Les centrifugeuses iraniennes, un atout stratégique pour Téhéran
Bien qu’il s’en défende, l’Iran dispose aujourd’hui de capacités nucléaires de plus en plus avancées. Selon l’AIEA, il détient plus de 120 kg d’uranium enrichi à 60%, un seuil très proche de l’enrichissement militaire. Il lui suffirait d’élever ce taux à 90% pour obtenir assez de matière fissile, c’est-à-dire capable de provoquer une réaction en chaîne nucléaire, pour produire au moins une bombe nucléaire. Techniquement, cela ne prendrait que quelques semaines grâce aux centrifugeuses avancées (IR-4 et IR-6), dont l’Iran dispose déjà, qui sont bien plus rapides que les anciens modèles IR-1, progressivement remplacés sur certains sites comme Fordo et Natanz.
L’AIEA estime notamment qu’en cas de décision politique, l’Iran pourrait produire suffisamment d’uranium hautement enrichi pour une bombe en deux à trois semaines, mais qu’il lui faudrait encore plusieurs mois à un an pour concevoir une ogive opérationnelle.
Parmi les principaux sites nucléaires iraniens connus pour abriter des centrifugeuses figurent Natanz, Fordo et Ispahan:
- Natanz, situé au centre du pays, est le cœur du programme nucléaire iranien. Il abriterait plus de 10.000 centrifugeuses réparties en une soixantaine de cascades, une partie en surface, l’autre souterraine.
- Fordo, près de Qom, est une installation hautement fortifiée, enfouie sous plus de 80 mètres de roche, protégée par des portes blindées et des systèmes de défense aérienne. Elle contient environ 3.000 centrifugeuses, dont des modèles de nouvelle génération (IR-4, IR-6), capables de produire de l’uranium enrichi à 60%.
- Ispahan, enfin, n’abrite pas de centrifugeuses à proprement parler, mais joue un rôle clé dans le processus d’enrichissement. C’est là que l’uranium est converti en gaz UF₆, nécessaire pour alimenter les centrifugeuses.
Les centrifugeuses, cible privilégiée d’Israël
Affirmant disposer de renseignements prouvant que Téhéran s'approchait du «point de non-retour» vers la bombe atomique, Israël a ciblé plusieurs de ces infrastructures.
La partie en surface du site de Natanz aurait été endommagée par des frappes. Le site d’Ispahan a également été touché. Fordo, en revanche, n’a pas été directement atteint jusqu’à présent, mais il figure clairement dans la ligne de mire d’Israël. Ce mercredi matin, le conseiller à la sécurité nationale israélien, Tzachi Hanegbi, a affirmé à la chaîne Channel 12 qu’Israël mettra un terme à son opération militaire une fois que Fordo sera endommagé.
Par ailleurs, dans les sites comme Fordo, qui n’ont pas été directement touchés, les frappes israéliennes ont provoqué des coupures d’électricité majeures. Or les centrifugeuses dépendent d’une alimentation électrique continue et stable pour fonctionner. Une panne brutale peut les déséquilibrer ou endommager des composants sensibles.
De plus, l’absence de pièces de rechange, à cause des sanctions et des destructions ciblées des lignes logistiques, pourrait empêcher leur redémarrage pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
Israël frappe aussi les sites liés à la production même des centrifugeuses, comme ce fut le cas dans la nuit du 12 au 13 juin et à nouveau ce mercredi matin à Téhéran et en périphérie de la capitale. L’armée israélienne a précisé avoir mobilisé plus de 50 avions de combat pour frapper, entre autres, une installation de production de centrifugeuses à Téhéran. Ces installations industrielles sont essentielles pour maintenir et renouveler les cascades en activité. Selon l’AIEA, deux bâtiments situés à Karaj, près de Téhéran, où étaient fabriqués des composants de centrifugeuses, ont été détruits. Un édifice du Centre de recherche de Téhéran, produisant des pièces pour ces machines, a, lui aussi, été touché.
Israël a également ciblé les cerveaux du programme nucléaire iranien. L’élimination, ces derniers jours, de plusieurs experts techniques, dont Abdolhamid Minouchehr, figure clé de la conception des centrifugeuses de nouvelle génération, constitue un revers stratégique majeur pour Téhéran. Relancer les installations sans ces compétences devient un défi complexe.
Ainsi, en s’attaquant aux centrifugeuses iraniennes, Israël frappe le cœur du programme nucléaire de la République islamique. Même si tous les sites n’ont pas été anéantis, les dégâts, matériels comme humains, pourraient réduire durablement la capacité de l’Iran à enrichir de l’uranium. C’est une tentative de retarder l’éventuelle bascule vers l’arme nucléaire, à un moment où l’équilibre régional reste plus fragile que jamais.
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