
Le Moyen-Orient vit au rythme d’une confrontation militaire d’ampleur entre Israël et l’Iran. Téhéran, décidé à afficher sa force de frappe, a déployé une partie de son impressionnant arsenal balistique, dans ce qui se veut une démonstration de puissance. Mais derrière l’accumulation de missiles, un déséquilibre structurel fragilise l’ensemble du dispositif iranien.
Un arsenal balistique pléthorique
Selon un rapport du Centcom (commandement central américain) de 2022, il s’agit du plus grand arsenal de la région, avec «plus de 3.000» missiles balistiques. Cet arsenal comprend des vecteurs variés, de courte portée («short-range ballistic missiles», ou SRBM) et de moyenne portée («medium-range ballistic missiles», ou MRBM).
Par exemple, le Fateh-110 à propergol solide (avec une portée d’environ 300 km et une charge de 450 kg) est déployé sur camion. Ses versions améliorées comme le Fateh-313 atteignent près de 500 km avec un écart circulaire probable (CEP) de 10 à 30 mètres. Parmi les SRBM plus lourds figurent le Zolfaghar (700 km) et le Dezful (1.000 km), dotés de charges de 500 à 600 kg et d’un guidage avancé.
Du côté des MRBM, l’Iran conserve des missiles à propergol liquide hérités du programme nord-coréen (notamment le Shahab-3, d’une portée d’environ 1.300 km), complétés par des variantes élargies comme le Ghadr-1 ou l’Emad (1.600 à 1.800 km).
En mai 2023, Téhéran a testé un nouveau Khorramshahr-4 surnommé Kheibar, annoncé pour 2.000 km et 1.500 kg de charge. Le ministère iranien de la Défense a vanté sa préparation et son lancement «rapides», le présentant aussi bien comme arme tactique que stratégique.
Enfin, des systèmes plus avancés au propergol solide ont été développés: le Sajjil (2.000 km) est déjà opérationnel, et une version «hypersonique» du Kheibar, le Fattah (1.400 km), est en test.
L’ensemble de ces missiles est désormais équipé de guidage sophistiqué, à savoir un véhicule de rentrée manœuvrant et une navigation par satellite. Ceci a considérablement amélioré la précision des frappes.
Lanceurs mobiles et silos souterrains
Pour minimiser les pertes en cas d’attaque, l’Iran utilise des lanceurs mobiles et des bases souterraines, à l’image du Hezbollah. Comme celui-ci a récemment montré dans ses tunnels «Imad-4», l’Iran stocke et prépare ses missiles à l’abri, dans des galeries bâties sous plusieurs dizaines de mètres de roc.
D’après l’Institute for the Study of War (ISW), centre américain d’études sur la guerre, Téhéran construit depuis des années «des installations souterraines de missiles» protégées contre les frappes aériennes.
Ces tunnels servent aussi à entreposer et à dissimuler les missiles avant de les disperser en surface. Les transporteurs-érecteurs (TEL) roulent souvent sous une bâche, déguisant missiles et systèmes de lancement en camions ordinaires.
L’agence britannique Reuters avait filmé des dizaines de ces camions circulant dans le tunnel hezbollahi d’Imad-4 avant un tir. Cette manœuvre rappelle l’approche iranienne.
De son côté, l’ambassade d’Iran à Beyrouth a affirmé, en 2024, que la République islamique possédait «ses propres stations de missiles souterraines» capables de frapper Israël. Ces mesures de camouflage souterrain multiplient les positions potentielles et rendent plus difficile la détection des missiles iraniens.
Peu de lanceurs pour beaucoup de missiles
Le dispositif iranien n’est pas sans failles. Sa vulnérabilité tient en partie à un déséquilibre entre le nombre de missiles et celui de lanceurs. Avant les récents combats, Israël estimait l’arsenal iranien à 3.000 missiles balistiques contre seulement 150 à 250 lanceurs mobiles.
De même, un rapport du Congressional Research Service, le service de recherche du Congrès américain, signalait «moins de 100» TEL pour des centaines de missiles SRBM. Ce ratio défavorable signifie que seuls quelques lanceurs peuvent être actifs à chaque attaque. Réduire le nombre de lanceurs, alors que le stock de missiles reste élevé, diminue automatiquement le débit de tir, c’est-à-dire le nombre de missiles pouvant être lancés par unité de temps.
Par ailleurs, la plupart des missiles à propergol liquide (Shahab-3, Ghadr, Qiam, etc.) doivent être alimentés en propergols sur site, ce qui ralentit leur mise à feu et facilite leur repérage. C’est pourquoi l’Iran privilégie désormais les moteurs solides, plus réactifs et moins vulnérables: ceux-ci peuvent être entretenus et stockés en permanence, puis lancés rapidement en cas d’alerte.
La stratégie israélienne
Lors des premières frappes israéliennes contre l’Iran, menées vendredi, la priorité a été la destruction des capacités de lancement. L’armée israélienne a ainsi bombardé de nombreux sites logistiques et lanceurs iraniens.
L’ISW a rapporté que l’armée israélienne a «continué de toucher et détruire des lanceurs de missiles» samedi et dimanche, limitant ainsi l’ampleur de la riposte iranienne.
Des images de drones de combat ont montré plusieurs transporteurs iraniens endommagés, certains identifiés comme des plateformes pour missiles Haj Qasem (une portée d’environ 1.400 km), alors qu’ils tentaient de prendre position.
De plus, le porte-parole de l’armée israélienne, Effie Defrin, a déclaré, lundi, qu’un tiers des lanceurs de missiles balistiques iraniens avaient été détruits et qu’Israël parvenait à déjouer une large part des attaques ennemies.
Fordow: le casse-tête des frappes aériennes
Située à une profondeur de 60 à 90 mètres, l’installation nucléaire de Fordow est l’un des sites les plus protégés d’Iran. D’après la Fondation pour la défense des démocraties (Foundation for Defense of Democracies, FDD), seule la bombe américaine GBU-57 (Massive Ordnance Penetrator), larguée par un B-2 furtif, pourrait en venir à bout.
Israël ne dispose, pour sa part, que de bombes anti-bunkers de faible puissance, insuffisantes pour atteindre des cibles à une telle profondeur.
Depuis les frappes de vendredi dernier, Israël a endommagé plusieurs infrastructures nucléaires à Natanz, à Ispahan et à Téhéran, et assassiné plusieurs scientifiques. Mais Fordow n’a pas été directement visé. Or, ce site abrite des centrifugeuses avancées capables de produire de l’uranium enrichi à 60%, convertible en quelques jours à 90%, le niveau militaire.
Téhéran a aussi annoncé le transfert de ses stocks enrichis vers des lieux secrets, en violation du traité de non-prolifération, ce qui accroît le risque d’un breakout nucléaire rapide. Autrement dit, l’Iran pourrait passer très rapidement de la simple possession d’uranium enrichi à la fabrication d’une arme nucléaire, si les conditions techniques et politiques sont réunies.
Reste à savoir si les responsables iraniens et leurs proxys, désormais décimés, sont capables de remédier à leurs failles logistiques, plutôt que de répéter des slogans creux.
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