La vie émet une lumière que la mort efface
Le phénomène, bien connu en chimie, est appelé chimiluminescence. ©envato

On sait aujourd’hui que les êtres vivants émettent une lumière ultra-faible, appelée biophotonique. Cette émission disparaît à la mort. Loin des mythes ésotériques, ce phénomène mesurable ouvre de nouvelles perspectives en médecine, biologie cellulaire et surveillance environnementale.

C’est un phénomène dont on ignorait presque tout il y a encore quelques décennies. Tous les organismes vivants – des plantes aux mammifères – émettent en continu une lumière extrêmement faible, bien trop ténue pour être perçue à l’œil nu. Cette émission, appelée bioluminescence ultra-faible ou chimiluminescence oxydative, s’interrompt brusquement à la mort. Ce signal optique, longtemps ignoré, est aujourd’hui mesuré et étudié par des équipes de physiciens et de biologistes, car il pourrait devenir un indicateur biologique précieux.

La lumière du vivant n’est pas une invention poétique. Elle est la conséquence d’un processus cellulaire précis: la production de radicaux libres lors des réactions d’oxydation. Lorsque les cellules produisent de l’énergie, notamment dans les mitochondries, elles consomment de l’oxygène et génèrent des espèces réactives de l’oxygène (ROS, pour Reactive Oxygen Species). Ces molécules instables peuvent, en se liant à d’autres composants cellulaires (lipides, ADN, protéines), provoquer des réactions d’oxydation qui libèrent de minuscules quantités de lumière. Le phénomène, bien connu en chimie, est appelé chimiluminescence.

Cette lumière biologique est environ 1.000 fois plus faible que le seuil de détection de l’œil humain. Elle oscille autour de 10⁻¹⁶ watts par centimètre carré, mais elle peut être détectée avec des appareils spécifiques comme des photomultiplicateurs, des caméras CCD refroidies ou des capteurs CMOS à haute sensibilité. Dès les années 1980, des chercheurs japonais (notamment le professeur Kaznari Kobayashi de l’université de Kyoto) ont montré que cette émission variait en fonction du niveau de stress oxydatif, de l’âge cellulaire ou de pathologies inflammatoires.

Les cellules en bon état émettent une lumière stable et régulière. En revanche, les cellules en souffrance, en hypoxie et en situation inflammatoire ou cancéreuse montrent une intensité lumineuse anormale ou des irrégularités dans la fréquence du signal. Cette bioluminescence est ainsi de plus en plus étudiée comme biomarqueur potentiel: elle offre une mesure non invasive du métabolisme cellulaire en temps réel, sans injection, sans prélèvement, sans contact.

À l’échelle végétale, des expériences menées sur des feuilles de haricot ou de tomate ont montré que la lumière émise diminuait fortement lorsqu’on exposait les plantes à un polluant, à une sécheresse ou à un stress salin. Ce type d’observation permet d’imaginer des applications en écologie: mesurer la santé d’un écosystème via la lumière de ses organismes.

La lumière s’éteint avec la vie

Le phénomène devient encore plus fascinant lorsqu’on observe ce qui se passe au moment de la mort. Les premières minutes après l’arrêt des fonctions vitales sont marquées par une chute brutale du signal lumineux. Cela semble évident: l’oxygénation cesse, les mitochondries s’éteignent et les réactions d’oxydation ralentissent puis cessent. Mais ce déclin, qui dure parfois plusieurs dizaines de minutes selon les tissus, pourrait devenir un outil d’analyse post-mortem ou de validation d’état de mort cellulaire.

Des chercheurs allemands (université de Leipzig, 2019) ont ainsi cartographié l’émission lumineuse de tissus humains in vitro avant et après une privation d’oxygène. Résultat: une baisse marquée de la lumière dans les trois minutes, avec extinction complète en dix à quinze minutes. Ces données pourraient intéresser les équipes médicales pour valider des critères de viabilité tissulaire ou pour surveiller des greffons en temps réel.

Le potentiel de la bioluminescence ultra-faible est immense. En oncologie, par exemple, certains travaux explorent son usage pour repérer précocement des zones de prolifération cancéreuse, dont les cellules oxydent plus que la moyenne. En neurologie, la lumière du cerveau pourrait informer sur l’état métabolique des neurones dans certaines pathologies dégénératives. En gériatrie, elle pourrait devenir un indicateur du vieillissement cellulaire.

Dans le domaine environnemental, des capteurs optiques sensibles disposés dans les sols ou les eaux pourraient détecter des variations anormales de lumière émise par les micro-organismes, traduisant une pollution, un changement de température ou un déséquilibre biologique.

La technologie n’est cependant pas encore prête à l’échelle industrielle. La mesure de cette lumière exige un environnement sombre et contrôlé, des capteurs coûteux et une rigueur extrême dans la calibration. Mais les progrès récents en photonique et en traitement du signal laissent entrevoir des instruments portables et automatisés d’ici quelques années.

Ce que révèle la bioluminescence ultra-faible, au fond, c’est que le vivant émet une lueur permanente, faible, continue, qui reflète l’état profond de son métabolisme. Une lumière qui ne sert pas à voir, mais à lire, à diagnostiquer, à comprendre.

La science, en déchiffrant cette clarté invisible, rejoint ce que d’autres cultures ont pressenti intuitivement, à savoir que la vie rayonne. Et que sa disparition laisse une trace, aussi infime soit-elle.

 

Le corps humain émet-il de la lumière pendant le sommeil?

Oui, et de manière étonnamment régulière. Des chercheurs japonais ont montré en 2009 que le corps humain émet une bioluminescence ultra-faible dont l’intensité varie selon le rythme circadien. Publiée dans la revue PLoS ONE, l’étude révèle que cette lumière naturelle atteint un pic en début d’après-midi, puis diminue progressivement durant la nuit. Contrairement à l’infrarouge dégagé par la chaleur corporelle, cette émission se situe dans le spectre visible, entre 500 et 700 nanomètres. Elle est détectée surtout au niveau du visage, en particulier autour de la bouche et des joues. Résultat: même dans l’obscurité la plus totale, le corps humain «luit» légèrement, comme s’il respirait de la lumière.

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