À Gaza, l’ombre d’un rival du Hamas prend du poids
©Ici Beyrouth

Alors que l’intransigeance du Hamas continue de coûter la vie à des dizaines de Palestiniens chaque jour, un profond ras-le-bol se fait sentir au sein de la population. C’est dans ce contexte de désillusion et de vide sécuritaire qu’émerge la figure de Yasser Abou Shabab.

Un chef issu d’un puissant clan bédouin

Originaire d’une grande tribu bédouine, les Tarabin – implantée entre le sud de Gaza, le Sinaï égyptien et le désert du Néguev –, Yasser Abou Shabab appartient à un clan historiquement actif dans la contrebande transfrontalière. Armes, cigarettes, matériel électronique: les tunnels reliant Rafah à l’Égypte et à Israël ont longtemps alimenté ces trafics.

Le Hamas a dans un premier temps toléré ces activités, avant de chercher à les contrôler. Selon des sources citées par le Jerusalem Post, les autorités du mouvement islamiste auraient fini par expulser le clan de Rafah, contraignant ses membres à se replier dans d’autres zones de la bande de Gaza.

Longtemps resté discret et sans affiliation officielle, Yasser Abou Shabab est décrit par les médias pro-Hamas comme un criminel lié à Daech. Son nom émerge en pleine guerre entre Israël et le Hamas, amorcée en octobre 2023, lorsque l’aide humanitaire internationale devient une ressource disputée.

Un mémo onusien cité par le Washington Post fin 2024 identifie Abou Shabab comme un acteur clé dans les pillages organisés de convois humanitaires dans le sud de Gaza. Cette réputation sulfureuse s’accentue alors que la guerre continue de fragmenter le territoire.

Une milice opportuniste

Au printemps 2025, Yasser Abou Shabab se présente publiquement comme chef des «Forces populaires», une milice armée opérant principalement autour de Rafah et du point de passage de Kerem Shalom. Il affirme vouloir «protéger les Palestiniens du terrorisme du Hamas et des voleurs d’aide» et publie des vidéos de ses hommes armés encadrant la distribution de vivres.

Sur le terrain, les témoignages divergent: certains saluent ses efforts de sécurisation des convois, d’autres – notamment des rapports de l’ONU – l’accusent d’attaques violentes, de racket, voire de détournements systématiques.

Selon Haaretz, ses hommes exigeraient des pots-de-vin pour laisser passer les camions d’aide. En cas de refus, les chauffeurs seraient battus et les cargaisons dérobées, avant d’être revendues au marché noir. Une petite partie serait redistribuée localement, consolidant l’emprise d’Abou Shabab sur certains quartiers.

Le 26 mai dernier, il diffuse des images de ses hommes escortant des convois humanitaires, une démonstration perçue comme un défi direct au Hamas.

L’exploitation du néant

La perte de contrôle du Hamas sur plusieurs secteurs de Gaza, notamment l’est de Rafah, à la suite de l’avancée israélienne, a ouvert un vide sécuritaire. Plusieurs clans armés en ont profité pour reprendre pied dans le paysage local, comme les Boghmouch, les Abou Richa ou encore les Abou Shabab.

Durant la dernière trêve hivernale, le Hamas a tenté de reprendre la main par la force: arrestations, actes de torture, exécutions ciblées. Mais à la reprise des hostilités en mars, ces milices sont revenues sur le devant de la scène, plus audacieuses qu’avant. Comme le résume un ancien responsable de la sécurité cité par le Jerusalem Post: «À Gaza, le vide n’existe pas: soit le Hamas est là, soit ce sont les clans qui imposent leur loi.»

Un exemple emblématique de cette montée en puissance: l’attaque d’un convoi de 31 camions près de Khan Younès fin mai. Des hommes armés, soupçonnés d’être liés à Yasser Abou Shabab, ont ouvert le feu. L’intervention des gardes palestiniens a déclenché une riposte israélienne, causant la mort de six agents.

Pour le Hamas, Yasser Abou Shabab n’est qu’un instrument entre les mains d’Israël, destiné à diviser le front intérieur palestinien. De son côté, l’État hébreu nie toute connexion avec ces milices, affirmant poursuivre les pilleurs tout en sécurisant les corridors humanitaires.

Pour les civils pris en étau, le dilemme est brutal: d’un côté, un Hamas affaibli mais autoritaire; de l’autre, des clans armés opportunistes qui se disputent les restes de l’ordre public. L’émergence de Yasser Abou Shabab incarne ainsi la désagrégation croissante du pouvoir à Gaza, conséquence directe d’une guerre déclenchée par le Hamas lui-même.

 

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