
La Maison européenne de la photographie à Paris consacre une rétrospective inédite à Marie-Laure de Decker, grande figure du photojournalisme de guerre. L’exposition dévoile plus de 300 images, reflet d’un engagement profond et de combats universels.
Une première grande rétrospective dédiée à la photographe française Marie-Laure de Decker, grande dame du photojournalisme décédée en 2023, débute mercredi à la Maison européenne de la photographie (MEP) à Paris, retraçant plus de 40 ans de son travail.
Quelque 300 clichés en noir et blanc et en couleur dont beaucoup inédits, issus des archives familiales et des collections de la MEP, sont exposés sur deux étages jusqu’au 28 septembre.
Ils retracent toute l’œuvre de cette pionnière du photojournalisme de guerre féminin qui a placé l’humain au cœur de sa vie pour témoigner des combats sociétaux, sociaux et politiques de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe sur tous les continents.
Son travail «a capté l’esprit de son époque dans les années 1970 et résonne encore très fortement aujourd’hui au travers des grandes causes qu’elle a portées et qui sont aussi les nôtres: l’anticolonialisme, l’antiracisme, le féminisme», souligne Victoria Aresheva qui a conçu l’exposition avec Pablo Saavedra de Decker, fils que la photographe a eu avec le résistant chilien Téo Saavedra.
«Tout cela montre bien le courage qu’il lui a fallu pour transcender sa peur et montrer au monde la beauté qu’elle voulait», dit à l’AFP Pablo Saavedra de Decker.
«Déclaration d’amour qui rend à (sa) mère la place qu’elle avait», cette rétrospective revêt aussi «une importance vitale: montrer le travail de femmes photographes et d’icônes auxquelles les jeunes générations de femmes doivent pouvoir s’identifier», ajoute-t-il.
Parmi les images les plus fortes et sans doute les plus connues: le Vietnam et sa guerre très médiatisée qui a marqué son entrée dans la profession et dans la toute nouvelle agence de photographes de l’époque, Gamma, «créée en 1966 par des hommes et qui ne comprenait que des hommes», rappelle Mme Aresheva.
On la découvre alors coupe garçonne et regard lumineux mêlé de défi, y partir, seule, à 23 ans, pour travailler pour Newsweek. Elle va réaliser nombre de portraits décalés – prostituées dans la rue, soldat avec un chiot dans les bras, enfants jouant dans des hôpitaux – qui «tranchent beaucoup avec le reste de la production photographique de l’époque sur cette guerre», selon la commissaire.
Suit en 1973 un reportage au Yémen avec Raymond Depardon (alors directeur de Gamma), ainsi qu’un autre, «très peu connu», sur des réfugiés palestiniens en Jordanie, selon Mme Aresheva.
En 1975, elle part au Tchad, qui deviendra son pays d’adoption, et va témoigner de l’enlèvement de l’archéologue française Françoise Claustre par des rebelles du nord en lutte armée contre le gouvernement du sud du pays mais aussi des raisons de cette lutte.
«Elle réalise notamment des portraits de combattants à leur demande dans un studio improvisé avec un drap blanc accroché sur un rocher (présentés dans l’exposition, ndlr), assumant son point de vue subjectif et son engagement», souligne la commissaire.
«Celle qui est née en Algérie en 1947 et a vécu à l’aube des années 1950 en Côte d’Ivoire, gardera toujours en elle le souvenir vif de «la bêtise de la colonisation, le vol que les Blancs imposaient à l’Afrique» et ne cessera d’assumer ses convictions», souligne la MEP dans sa présentation.
Parmi les pépites exposées, une série sur l’apartheid en Afrique du Sud (1948-1991), alors qu’elle est la seule femme photographe blanche à travailler aux côtés des photographes zoulous pendant les révoltes du township de Soweto en 1976.
Nombre de clichés témoignent de toutes les grandes causes qu’elle a défendues dont l’anticolonialisme et les droits des femmes, tout en soutenant divers mouvements œuvrant pour la justice sociale.
En attestent notamment ses clichés de la société chilienne en pleine dictature de Pinochet ou ses portraits d’ouvriers dans les mines africaines.
L’exposition s’achève sur une série de portraits de personnalités comme Marcel Duchamp et les derniers surréalistes mais aussi Catherine Deneuve, Charlotte Rampling, Federico Fellini, Françoise Sagan, Coluche ou François Mitterrand, qu’elle a photographiés avec la même intensité que les visages de milliers d’anonymes.
Avec AFP
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