
Depuis plusieurs mois, Zayed al-Ghamdi laisse son 4x4 au garage pour se rendre au travail en métro, une nouveauté à Riyad, qui lui permet de gagner du temps mais aussi, dit-il, de s’affranchir un peu des rigoureux clivages sociaux du royaume.
Dix ans après le lancement des travaux, le métro a ouvert ses portes en décembre, offrant aux huit millions d’habitants de Riyad une alternative aux routes saturées par plus de deux millions de voitures.
Pour la première fois aussi, les plus aisés partagent leurs déplacements avec les moins favorisés, et les Saoudiens côtoient une vaste population d’expatriés, majoritairement des ouvriers sud-asiatiques, mais aussi quelques cols blancs occidentaux.
«Pendant 40 ans, j’étais confiné à ma voiture ou à des restaurants avec mon père et mes frères, puis avec ma femme et mes enfants», explique à l’AFP M. Ghamdi, un fonctionnaire de 42 ans travaillant dans le centre de Ryad.
«Je ne parlais à personne en dehors de mon entourage ou de gens qui me ressemblaient», dit-il.
«Aujourd’hui, les choses ont changé. On sent que la société, avec toutes ses classes, se retrouve au même endroit», dit-il, à bord de la ligne bleue reliant les quartiers populaires du sud à ceux aisés du nord de Riyad.
Entre richesse extravagante, réseaux tribaux complexes et importante population étrangère, la société saoudienne s’est bâtie sur des divisions sociales rigides.
Mais pour la classe moyenne, dans les rames du métro, ces divisions s’effacent pour un moment. Aux heures de pointe, les rames sont bondées d’ouvriers, étudiants et cadres.
«Je discute de tout et de rien avec des inconnus et découvre même de nouvelles choses et cultures», confie Nasser al-Qahtani, ingénieur de 56 ans, au côté d’un jeune Saoudien qui tient une planche de skateboard.
«Rapprocher les gens»
Si le métro n’a pas encore fluidifié la circulation de Riyad, il représente «un événement social et psychologique majeur», selon le sociologue Mohammed al-Hamza.
«Le métro a changé l’état d’esprit de la société saoudienne. Il a rapproché les gens», alors que «la culture en Arabie saoudite est centrée sur la famille et les amis, avec une réticence à aller vers les autres».
Le brassage social reste toutefois genré : la plupart des usagères optent pour les wagons «famille», où les hommes ne sont admis qu’accompagnés de femmes.
Pour une réelle mixité, ou éviter la promiscuité, il reste toujours possible de payer 10 rials de plus (2,35 euros) et accéder aux compartiments de première classe, en tête de train.
Le métro permet aussi aux usagers de gagner du temps en s’affranchissant du tout-voiture.
«Il me fallait plus d’une heure et demie pour me rendre au travail, épuisé et stressé par les embouteillages», raconte M. Ghamdi, précisant que son précieux 4x4 reste au garage depuis plusieurs mois.
«Aujourd’hui, j’arrive détendu, sans stress», ajoute-t-il.
En Arabie saoudite, le litre d’essence coûte à peine 2,33 rials (0,57 euro), moins qu’un paquet de pain de mie. Mais à 4 rials (environ 1 euro) le ticket, valide deux heures, le métro offre une alternative avantageuse.
Hadil Walid, étudiante en droit de 20 ans, n’a plus besoin que d’une heure pour se rendre à l’université, contre parfois jusqu’à quatre heures en voiture.
«Je rentre chez moi avec de l’énergie pour ma famille et mes études», se réjouit-elle.
Un pari pas gagné d’avance
Le métro figure parmi les nombreuses infrastructures de «Vision 2030», l’ambitieux plan de réformes du prince héritier et dirigeant de facto du royaume, Mohammed ben Salmane, destiné à diversifier l’économie du premier exportateur mondial de brut.
Avec ses six lignes s’étendant sur 176 kilomètres et 85 stations, le réseau est l’un des plus importants du monde arabe.
Son succès n’apparaissait toutefois pas garanti, notamment après l’échec relatif du réseau de bus, qui restait, lui, soumis aux aléas de la circulation.
«Honnêtement, pendant dix ans, on se demandait : qui va prendre le métro?», confie à l’AFP un haut responsable de l’exploitation du réseau, sous couvert d’anonymat. «Personne ne s’attendait au niveau d’utilisation actuel, ni même aux retombées financières».
La Commission royale pour Riyad n’a pas répondu à l’AFP sur la fréquentation, mais le même responsable avance un chiffre de l’ordre de dizaines de milliers d’usagers quotidiens.
Les autorités envisagent d’élargir le réseau, avec une septième ligne, reliant Riyad à ses périphéries.
Par Haitham EL-TABEI/AFP
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