
La visite du président palestinien Mahmoud Abbas au Liban revêt un caractère exceptionnel, tant par sa forme que par son contexte. Depuis septembre 2024, les dynamiques internes et régionales ont été profondément redéfinies. Les réalités qui prévalaient au Liban et en Syrie avant cette date ne sont plus valables en ce début d’année 2025.
En effet, cette visite s’inscrit dans un climat radicalement différent: l’échec de l’axe de la Moumanaa mené par l’Iran à défaire Israël, les missiles n’ayant finalement pas dépassé le stade de «l’au-delà de Haïfa» tant rabâché. En revanche, Gaza et le Liban-sud ont été ravagés, plusieurs dirigeants palestiniens et libanais ont été assassinés, la hiérarchie de la résistance a été décimée jusqu’à son sommet. À commencer par Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, aux côtés de nombreux cadres de quatrième rang du Hezbollah. Sans compter Saleh el-Arouri, Ismaïl Haniyé, Yahya Sinwar, et avant eux, Qassem Soleimani, l’architecte de l’axe iranien, entre autres figures majeures.
Sur le fond, cette visite intervient dans le sillage de deux bouleversements majeurs: l’effondrement du projet régional porté par l’Iran et la chute du régime de Bachar el-Assad. Ces développements ont profondément redéfini les équilibres au Liban, mettant fin à des décennies de tutelle syrienne et d’influence iranienne sur la prise de décision nationale. Désormais, le pouvoir décisionnel au Liban est recentré à Baabda et s’exerce à travers les institutions officielles de l’État.
Le Liban a opté pour une solution diplomatique pour régler le conflit avec Israël, tournant ainsi le dos à la logique de confrontation portée par l’axe de la Moumanaa. Celui-ci avait longtemps tenté de persuader les puissances régionales et internationales qu’Israël n’était qu’un colosse aux pieds d’argile, «plus fragile qu’une toile d’araignée». Benjamin Netanyahou avait alors rétorqué: «Israël repose sur des piliers d’acier et une volonté inébranlable».
Dans la foulée de la guerre déclenchée en soutien à Gaza, et face aux destructions massives subies par le Liban-Sud, le Hezbollah a été contraint d’accepter, par l’intermédiaire du chef du Parlement, Nabih Berry, la proposition franco-américaine d’un cessez-le-feu permanent. Cet accord inclut le désarmement du Hezbollah et le démantèlement de son appareil militaire.
L’État libanais a officiellement exprimé son engagement à mettre en œuvre cet accord, à appliquer intégralement la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, et à privilégier la voie diplomatique, dans un contexte où la résistance n’a ni tenu ses promesses, ni répondu aux violations israéliennes de manière efficace.
La visite de Mahmoud Abbas au Liban intervient à un moment charnière, alors que les États-Unis s’investissent dans une initiative sérieuse visant à mettre fin à la guerre à Gaza. Plusieurs pays arabes participent désormais aux négociations, traduisant un basculement notable du discours régional: la logique militaire, jugée inefficace et destructrice, cède la place à une approche politique axée sur la stabilité et la sécurité. L’objectif est clair: jeter les bases d’un nouveau Moyen-Orient fondé sur une paix globale, juste et durable, qui pourrait déboucher sur une normalisation avec Israël.
Un diplomate arabe a récemment confié à un ministre libanais que cette dynamique impose au Liban et à la Syrie de s’engager sans ambiguïté en faveur de la stabilité, du contrôle des frontières et de la souveraineté étatique – autant de prérequis pour s’inscrire dans cette vision de paix régionale.
En écho à cette orientation, le président libanais Joseph Aoun, en déplacement au Caire, a affirmé: «Nous faisons face à un défi historique: la paix pour toute notre région. Et nous sommes prêts. Le Hezbollah doit accepter la logique de l’État et s’engager dans la vie politique, mais sans armes.»
Dans ce contexte, l'envoyée spéciale adjointe du président américain pour le Moyen-Orient, Morgan Ortagus, a transmis un message en amont de son arrivée au Liban, exhortant le pays à envisager sérieusement de prendre part aux accords de paix, condition sine qua non pour un retrait israélien après le désarmement du Hezbollah et des factions palestiniennes. Elle a souligné que le Liban devrait s’inspirer de l’exemple irakien où l’État détient le monopole des armes et du modèle syrien post-Assad, où le président Ahmad el-Chareh s’est engagé à ce que seules les forces régulières portent les armes – y compris celles autrefois détenues par les groupes palestiniens.
Une position reprise et confirmée dans le communiqué conjoint publié à l’issue de la réunion entre les délégations libanaise et palestinienne.
Le Liban s’est, de son côté, engagé à mettre en œuvre dès le 15 juin un programme de désarmement progressif des groupes armés palestiniens présents sur son territoire. Ce processus marque une première étape vers la consolidation de l’autorité étatique. Dans un second temps, un calendrier sera établi pour aborder la question sensible de l’arsenal du Hezbollah, avec pour objectif un règlement global d’ici la fin de l’année. Ce processus devrait ouvrir la voie à la tenue d’élections législatives en 2026 «sans armes», selon des sources proches du gouvernement.
Dans la continuité du message ferme adressé au Liban, Mme Ortagus a également évoqué la crise économique qui mine le pays. Elle a exprimé l’intérêt de l’administration américaine pour y apporter une solution structurelle, en dehors du cadre traditionnel du Fonds monétaire international. La proposition américaine vise à transformer le Liban en un véritable pôle d’investissement régional, afin de rompre avec la dépendance chronique aux prêts et à l’aide internationale. Mais cette vision repose sur une condition politique claire: l’adhésion du Liban aux accords de paix en cours de négociation.
M. Berry avait déjà mis en garde contre ce qu’il considère comme une tentative israélienne d’entraîner le Liban dans un processus de normalisation sous couvert de mécanismes techniques, tels que les commissions mixtes proposées par le passé. «Mais nous ne sommes pas prêts», avait-il alors déclaré, fermant la porte à toute évolution prématurée.
De son côté, la Syrie semble avoir franchi un cap. Selon des sources diplomatiques occidentales, M. Chareh aurait exprimé, lors d’une rencontre avec Donald Trump en Arabie saoudite, sa volonté de rejoindre les accords d’Abraham, amorçant ainsi un tournant majeur dans la politique régionale syrienne.
Alors que la région s’aligne sur une logique diplomatique, l’axe de la Moumanaa s’effondre, miné par ses propres contradictions et l’impossibilité de concrétiser ses promesses, notamment sa prétendue résistance à Israël.
Dans ce contexte, le Liban fait l’objet de pressions croissantes de la part de l’administration Trump, qui pousse Beyrouth à s’engager dans le processus de normalisation. Les autorités libanaises répliquent en réaffirmant leur attachement à l’accord d’armistice de 1949, exigeant qu’Israël le respecte comme préalable à toute discussion.
Un haut responsable libanais a souligné que cet accord constituerait la pierre angulaire de toute future position du Liban, en cohérence avec la dynamique arabe en faveur de la paix. Mais cette orientation reste conditionnée au retrait israélien et à un engagement clair en faveur du cessez-le-feu.
Selon lui, le Liban se distingue des autres pays de la région par une spécificité historique: sa neutralité. Une neutralité rompue avec l’accord du Caire de 1969, qui avait transformé le pays en théâtre de confrontation armée au nom de la cause palestinienne. Or, la visite de Mahmoud Abbas a marqué symboliquement la fin de cette époque. Le président palestinien a acté le retour à la souveraineté exclusive de l’État libanais sur son territoire, affirmant que le Liban n’est pas un champ de bataille, mais une nation souveraine, libre et indépendante, que nul ne saurait instrumentaliser.
Et comme l’a rappelé ce responsable: «Ce que le Liban a offert à la cause palestinienne, aucun autre pays – y compris ceux directement concernés – ne l’a égalé.»
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