
La Cité sportive Camille Chamoun rouvre ses portes au plus grand classique du football libanais. Ansar-Nejmeh, ce n’est pas un simple match; c’est un rituel, une fièvre, un séisme sportif annoncé.
Quand l’histoire rencontre l’enjeu, ça donne un clasico. Et quand le clasico libanais retrouve la pelouse mythique de la Cité sportive Camille Chamoun, ça donne un moment à part, suspendu, presque sacré.
Affiche-choc
Vendredi à 16h45, l’orage va gronder sur Beyrouth. Sur le rectangle vert fraîchement retapé de la Cité, Al-Ansar, leader actuel du championnat avec 29 points, défie son rival éternel, Nejmeh, cinquième au classement, mais premier dans les cœurs de milliers de supporters prêts à enflammer les travées. Car entre ces deux monuments du football libanais, il n’y a pas de classement qui tienne. C’est le match. Le derby. Le Clasico.
Et cette fois, le choc dépasse les limites du terrain. Placée sous le haut patronage du président de la République, Joseph Aoun, avec la présence annoncée du Premier ministre, Nawaf Salam, la rencontre prend une tournure institutionnelle, presque solennelle. Le football libanais retrouve ses habits d’apparat, et la grande messe du ballon rond s’annonce électrique.
Périple d’un stade mythique
Quand Camille Chamoun inaugure «sa» Cité sportive en octobre 1957, il est loin d’imaginer le destin mouvementé de ce complexe flamboyant, alors présenté comme la vitrine du sport arabe. Érigée sur les terrains de Bir Hassan au terme de longues tractations, l’enceinte accueille plus de 80.000 personnes dès son ouverture, lors des Jeux panarabes. Le faste de l’époque – feux d’artifice, parades d’athlètes, folklore régional – contraste violemment avec les décennies qui suivront. De Pelé à Ronaldinho, en passant par Pavarotti, la Cité a vu défiler les gloires du football, de la musique et du spectacle. Mais elle a aussi vu la guerre, les invasions, les pillages et l’abandon. Détruite partiellement en 1982, laissée à l’abandon durant la guerre civile, sauvée in extremis d’une transformation en marché de gros, elle renaît dans les années 1990 grâce à Rafic Hariri, avant de replonger dans l’oubli au lendemain de la révolution de 2019. Devenue entre-temps entrepôt de farine, hôpital de fortune, puis dortoir pour déplacés, elle a tout connu, jusqu’à héberger les funérailles du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah en février 2025, en présence de dizaines de milliers de partisans. Ce jour-là, bien des bâtisseurs du Liban moderne ont dû se retourner dans leur tombe. Plus que jamais, la Cité sportive est le miroir fidèle d’un pays écartelé entre grandeur et chaos, où les lieux de rassemblement populaires peuvent passer, en une génération, de l’ovation aux obsèques.
Et pourtant, c’est dans cette arène cabossée par l’Histoire que se rallume aujourd’hui la ferveur du football populaire. Le derby entre Nejmeh et Ansar, mythe vivant de la passion beyrouthine, vient redonner souffle à ce lieu que l’on croyait perdu.
Stade comble, passion déchaînée
Depuis plusieurs jours, la mobilisation bat son plein. Sur les réseaux sociaux, les appels à l’unité, les vidéos de motivation, les hymnes et chants des virages circulent en boucle. Des convois sont organisés, les drapeaux se préparent, les tifos s’imaginent. Les supporters d’Ansar et de Nejmeh se mobilisent comme rarement. Le ministère de la Jeunesse et des Sports, par la voix de la ministre Nora Bayrakdarian, parle d’un des plus grands rassemblements populaires de l’année.
Le match, lui, est déjà dans toutes les têtes. Et les forces de sécurité ainsi que les comités d’organisation peaufinent un plan détaillé pour assurer une entrée et une sortie fluides des supporters, dans un esprit de fair-play et de respect.
Plus qu’un match, un symbole
Dans un Liban à cran, cette rencontre sonne comme une parenthèse d’unité et de fierté. L’image d’un stade vibrant, plein à craquer, résonne comme une promesse de cohésion. Car malgré la rivalité, malgré les tensions, le football demeure ce fil rouge, cette échappatoire, cette scène où l’on peut croire, crier, espérer.
Ansar veut confirmer son trône. Nejmeh veut briser la hiérarchie. Mais au fond, tous veulent la même chose: que le football libanais retrouve ses lettres de noblesse.
Qu’importe le score. Vendredi, quel que soit le vainqueur, la vraie victoire sera peut-être celle de cette pelouse mythique qui, après avoir survécu aux guerres, aux oublis et aux détournements, prouve qu’elle reste le cœur battant d’un Liban debout.
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