Cannes: «Fuori», neuf mots pour la liberté de l’écrivaine Goliarda Sapienza
(De gauche à droite) L’actrice italienne Matilda De Angelis, l’actrice italienne Valeria Golino et l’actrice italienne Elodie arrivent à la projection du film Fuori lors de la 78ᵉ édition du Festival de Cannes, le 20 mai 2025. ©Sameer AL-DOUMY / AFP

Avec Fuori, Mario Martone livre un hommage vibrant à Goliarda Sapienza. Le film, en compétition à Cannes, explore la rédemption et la création après la prison.

Dans Fuori, en compétition au Festival de Cannes mardi, la caméra du réalisateur italien Mario Martone suit à sa sortie de prison l’écrivaine italienne Goliarda Sapienza, découverte en 2005, neuf ans après sa mort, sous les traits de Valeria Golino.

«Sapienza me fascine beaucoup, tout son parcours et toutes ses œuvres», a confié à l’AFP le réalisateur qui, en 2021, avait déjà adapté au théâtre Le fil de midi, un autre récit de la romancière décédée en 1996.

Dans Fuori (qui signifie «dehors» en italien), en salles en France le 3 décembre, le réalisateur – en compétition à Cannes il y a trois ans avec Nostalgia et en 1995 avec L’Amour meurtri – s’est intéressé à une autre période de la vie de l’autrice, marquée par sa nostalgie de l’incarcération et des amitiés entre femmes qui s’y sont nouées.

«À un certain moment, cette femme, cette artiste, après avoir écrit un livre comme L’Art de la joie, est rejetée par tous, aucun éditeur ne la publie, elle est mise aux marges de la société intellectuelle de l’époque et se retrouve également dans de graves difficultés économiques», raconte Mario Martone.

Ce qui la pousse à voler des bijoux chez une amie, se retrouvant ainsi incarcérée en 1980 dans la prison pour femmes de Rebibbia, à Rome, la plus grande du pays.

Là, «elle trouve une liberté inattendue» par rapport à la «prison où elle se trouvait à l’extérieur, dans la société intellectuelle de l’époque», ajoute le réalisateur, habitué de la Mostra de Venise, où il a remporté le Grand Prix du Jury en 1992 avec son premier long métrage Mort d’un mathématicien napolitain.

Certes, «la prison est une condition terrible, douloureuse, mais c’est un endroit où elle trouve des relations authentiques et où, soudain, la réalité est immédiate, peu importe votre culture, votre origine sociale, comment vous êtes habillé, seul compte qui vous êtes et ce que nous nous disons».

Des rencontres «si belles», en particulier avec Roberta, une délinquante à la beauté d’ange dont elle s’éprend, que le réalisateur a décidé d’en faire un film «en se laissant porter par cette dimension libre de Goliarda Sapienza».

Cette période, qui sera celle d’une renaissance, y compris linguistique, chez l’autrice, donnera lieu à deux ouvrages: L’Université de Rebibbia et Les certitudes du doute, dont est tiré le scénario du film.

L’écrivaine ne connaîtra pourtant le succès que neuf ans après sa mort, avec la publication en 2005 de la traduction française de L’Art de la joie, son œuvre phare achevée dès 1976 mais qu’aucun éditeur italien n’a voulu publier de son vivant.

Cette fresque de 800 pages dépeint la vie d’une femme très libre, à la sexualité exubérante, prénommée Modesta.

À sa sortie de prison, Goliarda Sapienza «retrouve la force d’écrire, se plonge même dans le dialecte romain» qu’elle a entendu au contact des autres détenues, en disant qu’elle y a «rincé sa langue», relate Mario Martone.

Situé à la fin des années de plomb en Italie, le film bruisse également de l’agitation politique qui secoue alors le pays.

«Roberta est une activiste politique dans des années difficiles, qui essaie de tout faire pour cacher à Goliarda ce qu’elle fait» pour ne pas «la mettre en danger», détaille le cinéaste.

«Je ne voulais qu’aucun des + ismes + de l’époque ne pèse sur le film», y compris le terrorisme, même si «on les ressent», notamment à l’intérieur de la prison, poursuit-il.

Alors que L’Art de la joie vient de faire l’objet, en Italie, d’une minisérie réalisée par Valeria Golino et Nicolangelo Gelormini, Mario Martone espère que cette adaptation sur petit écran aidera «surtout à faire en sorte qu’on la lise parce que c’est très intéressant».

«C’est une lecture(...) animée, parfois cela peut plaire, d’autres non, vous pouvez ne pas comprendre, vous pouvez vous perdre comme elle le fait mais, certainement, cela vous donne de nombreuses bonnes raisons de la lire.»

Par Juliette RABAT / AFP

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