Mahmoud Abbas attendu à Beyrouth: un pas vers le désarmement des camps ?
©Ici Beyrouth

Alors que le Liban s’engage dans une nouvelle phase de reconquête de sa souveraineté, la visite du président palestinien Mahmoud Abbas, prévue le 21 mai, pourrait ouvrir un chapitre inédit dans la gestion des camps palestiniens. Au cœur des discussions: le désarmement des factions, le rôle de l’Autorité palestinienne et la redéfinition d’un vieux compromis sécuritaire.

Le dossier palestinien. Une affaire de longue date et dont les effets n’ont pas été inconséquents pour le Liban et sa souveraineté. Si l’offensive du 7 octobre 2023 menée par le Hamas contre Israël a bouleversé la région, il est certain qu’un retour en arrière s’avère aujourd’hui quasi impossible. Aux multiples paysages politiques en pleine mutation dans la région du Moyen-Orient s’ajoute celui libanais, où plusieurs affaires sont à «traiter». L’une d’entre elles est celle, urgente, des armes des factions palestiniennes au Liban.

C’est donc dans ce contexte que le président palestinien, Mahmoud Abbas, est attendu le 21 mai prochain à Beyrouth. À l’ordre du jour de sa visite: l’appel au désarmement des factions palestiniennes, l’extension de la souveraineté de l’État libanais sur les camps et la mise en œuvre d’un plan arabe pour la paix régionale.

Il faut dire que l’arrivée de M. Abbas intervient, notamment, au lendemain de l’arrestation, par les autorités libanaises, de membres du Hamas, soupçonnés d’être à l’origine de tirs de roquettes sur Israël depuis le Liban. Ces attaques non revendiquées ont été menées au mois de mars dernier et leurs auteurs présumés ont été arrêtés par l’armée libanaise.

À souligner aussi que, depuis l’accession du président Joseph Aoun à la tête de l’État, le Liban s’engage dans une voie aux ramifications multiples et dont l’aboutissement aurait été utopique, il y a quelques années. Désarmement du Hezbollah, extension de la souveraineté de l’État sur tout le territoire libanais, délimitation des frontières terrestres avec la Syrie, lutte contre la contrebande… S’il n’est pas dit que le pays puisse absolument atteindre ses objectifs, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, la donne a complètement changé.

Après s’être aventuré dans une guerre de longue haleine contre un État hébreu farouchement décidé à stabiliser son entourage pour des fins de sécurité, le Hezbollah en est sorti largement affaibli. Plusieurs de ses dirigeants ont été éliminés, ses voies d’approvisionnement coupées et sa base populaire est désormais divisée. Avec le feu vert tacite de l’Iran, il est allé jusqu’à adhérer à l’accord de cessez-le-feu conclu le 27 novembre 2024 entre le Liban et Israël, mettant ainsi fin à toutes ses opérations contre Tel-Aviv, malgré les frappes aériennes quasi quotidiennes de l’armée israélienne contre ses positions, membres et dépôts d’armes.

Pour le Hamas au Liban, la conjoncture n’est pas non plus des plus plaisantes, pour des raisons similaires à celles susmentionnées, et c’est compte tenu de tous ces éléments que le président palestinien jouera ses cartes.

Retour sur un vieux débat libanais

Ce n’est pas la première fois que Mahmoud Abbas avance une telle position. Déjà en 2008, sous la présidence de Michel Sleiman au Liban, il avait proposé que la sécurité des camps palestiniens au Liban soit placée sous la responsabilité des autorités libanaises. À l’époque, cette initiative avait été torpillée par le Hezbollah, la Syrie, le Hamas et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui refusaient de perdre leur influence sur ces enclaves souvent utilisées à des fins régionales.

Aujourd’hui, le contexte a changé. Depuis plusieurs mois, le Liban s’oriente vers un recentrage sécuritaire autour de l’État, «avec une neutralisation progressive des dépôts d’armes situés en dehors des camps palestiniens, notamment à Qoussaya et à Naamé, où le FPLP est bien ancré», souligne-t-on de source bien informée.

Pour ce qui est de l’arsenal militaire situé à l’intérieur des camps, l’objectif est clair: «y maintenir les dépôts d’armes, contenant de l’armement lourd, tout en les plaçant sous le contrôle de l’armée libanaise. Les armes individuelles, jugées, elles, moins stratégiques, feraient l’objet d’un traitement séparé».

Un plan de désarmement coordonné est d’ailleurs en préparation. Selon des sources sécuritaires, l’État libanais dispose aujourd’hui, grâce à des données qui lui ont été fournies par les États-Unis, d’une cartographie complète des dépôts d’armes du Hezbollah.

Une visite à risque?

Lors du sommet de Bagdad tenu samedi dernier, Mahmoud Abbas a réaffirmé plusieurs positions fondamentales: l’Autorité palestinienne est, selon lui, la seule instance légitime pour gouverner la Cisjordanie et Gaza. Il a, également, insisté sur la nécessité d’un plan arabe pour la paix, fondé sur trois piliers: la cessation totale des hostilités, la libération de tous les otages et l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire.

Mais c’est une autre déclaration de M. Abbas qui résonne particulièrement au Liban: «Aucune arme ne doit exister en dehors de l’Autorité palestinienne.»

Une annonce qui ne sera pas sans conséquences. Des rapports de l’armée libanaise mettent, en effet, en garde contre de possibles incidents sécuritaires après sa visite à Beyrouth, notamment entre le Fatah (représentant l’Autorité palestinienne) et d’autres factions palestiniennes, comme le Hamas et le FPLP, hostiles à toute centralisation du pouvoir.

On rappelle, à cet égard, que selon des chiffres incertains, quelque 200.000 Palestiniens vivent actuellement au Liban, répartis dans 12 camps officiellement reconnus. En février 2025, le bureau local de l'UNRWA au Liban recensait un total de 222.000 Palestiniens résidant au Liban, dont 195 000 Palestiniens du Liban et 27 000 Palestiniens de Syrie. D’autres chiffres évoquent la présence de 400 000 Palestiniens sur le sol libanais, un écart qui s’explique par le fait que l'enregistrement auprès de l'UNRWA est volontaire. Selon l’agence onusienne, «les décès et l'émigration restent souvent non déclarés et les réfugiés peuvent continuer à enregistrer leurs nouveau-nés lorsqu'ils partent à l'étranger grâce au système d'enregistrement en ligne de l'UNRWA».

Installés depuis 1948, ces réfugiés vivent pour beaucoup dans des conditions précaires, souvent dans des zones densément peuplées et sous-équipées. Les camps les plus connus – Aïn el-Héloué (près de Saïda), Bourj Barajné (au sud de Beyrouth), Nahr el-Bared (au nord du pays) – font régulièrement la une de l’actualité en raison d’affrontements internes entre factions ou d’opérations sécuritaires menées par l’armée libanaise à la suite d’éruptions de violence.

Au fil des ans, ils ont réussi à créer des structures parallèles, souvent contrôlées par des factions palestiniennes, où les armes circulent librement. L'État libanais, quant à lui, maintient un contrôle sécuritaire aux abords des camps, sans y pénétrer directement, selon un équilibre tacite instauré après la guerre civile.

Or, si le plan porté par Mahmoud Abbas trouve un relais du côté libanais, une architecture de contrôle partagé pourrait émerger. Mais elle suppose des concessions de tous les acteurs – y compris du Hezbollah et du Hamas – et une volonté politique ferme pour transformer un vieux compromis sécuritaire en une souveraineté assumée.

 

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