
Dans un recoin isolé de la prison centrale de Roumieh se dresse le tristement célèbre Bloc B, plus connu sous le nom de «bloc du terrorisme». Ce bloc abrite près de 500 détenus, en majorité des islamistes radicaux poursuivis pour des charges liées au terrorisme.
Avec l’effondrement du régime Assad, la question des prisonniers islamistes syriens au Liban refait surface, alors que des groupes armés et des réseaux tribaux accentuent la pression en faveur de leur libération.
Le 17 août 2025, un document interne de l’armée libanaise a alerté sur des préparatifs de militants syriens près de la frontière, visant à enlever des soldats libanais dans l’est et le nord du pays afin de les échanger contre des détenus islamistes. Cependant, des sources à Damas ont démenti soutenir ces menaces, les qualifiant de simples tactiques de pression, peu susceptibles d’être mises à exécution.
Ce dossier reste toutefois sensible. Le 9 août, les familles des prisonniers ont organisé un sit-in au poste-frontière de Jousieh pour réclamer leur libération et de meilleures conditions de détention.
Quelques jours plus tard, des détenus du Bloc B se sont rebellés en incendiant des matelas, en bloquant des portes et en refusant les repas. Déjà, en février, plus d’une centaine d’entre eux avaient entamé une grève de la faim illimitée.
Le statut des détenus syriens
Selon les chiffres officiels, près de 150 détenus de Roumieh sont des islamistes syriens en détention préventive, incarcérés depuis une période allant de cinq à douze ans. La plupart ont été arrêtés entre 2011 et 2017, à l’époque où des groupes tels que Jabhat al-Nusra et Daech étaient particulièrement actifs.
Les lenteurs judiciaires, la surpopulation carcérale et les blocages politiques ont laissé des dizaines de personnes sans procès pendant des années.
La prison de Roumieh illustre ce problème emblématique. Conçue pour accueillir 2.800 détenus, elle en compte actuellement plus de 6.000, soit 250% de sa capacité. Afin d'alléger la pression, le ministre de l'Intérieur, Ahmad Hajjar, a rouvert, le 3 juin 2025, la salle d'audience spéciale de Roumieh.
Créée en 2012 pour juger les affaires islamistes, cette salle avait été fermée un an plus tard en raison de conditions déplorables et de blocages administratifs. Depuis sa réouverture, cependant, seules quelques audiences ont pu avoir lieu.
Pourquoi ces retards dans les procès?
Plusieurs facteurs expliquent le long délai des procès des détenus islamistes syriens à Roumieh:
Paralysie judiciaire: la crise économique de 2019 a entraîné une baisse les salaires des juges de près de 90%, provoquant démissions et grèves. La pandémie COVID-19 a encore davantage ralenti l'activité des tribunaux.
Complexité des dossiers: les procès complexes liés au terrorisme sont souvent longs et fréquemment relégués au second plan au profit des affaires ordinaires.
Crainte de représailles: les magistrats restent prudents après le massacre du tribunal de Sidon, en 1999, au cours duquel quatre juges avaient été assassinés pour avoir rendu un verdict contre Osbat al-Ansar, une organisation affiliée à Al-Qaïda.
Stratégies de défense: les avocats des détenus exploitent fréquemment les procédures pour les prolonger, dans l'espoir d'une future amnistie générale qui annulerait les peines, notamment celles à perpétuité ou la peine capitale.
Amnistie, transfert ou maintien en détention?
Selon la législation libanaise, notamment l'article 30 du Code pénal, les crimes commis sur le sol libanais, tels que les attentats à la bombe ou les attaques contre des soldats, doivent être jugés au niveau national. L'extradition n'est possible que si l'infraction a été commise à l'étranger ou en vertu d'un traité contraignant.
Cela signifie que la plupart des islamistes syriens détenus à Roumieh ne peuvent être transférés. Seul un petit nombre d'entre eux, dont les crimes sont strictement liés à la Syrie, pourrait être rapatrié.
Pour l'heure, le gouvernement syrien n'a pas officiellement réclamé la libération de ses ressortissants détenus à Roumieh. Mais avec la montée des menaces tribales, les protestations des familles et l'agitation croissante dans les prisons, le sort de ces détenus devient un enjeu sécuritaire pressant.
Beyrouth s'est déclaré disposé à signer un traité avec Damas pour rapatrier les condamnés syriens, à condition qu'ils ne soient pas accusés de terrorisme ou du meurtre de soldats libanais.
Mais les autorités demeurent prudentes: même remis en liberté en Syrie, nombre de ces détenus pourraient rejoindre des groupes extrémistes échappant au contrôle de Damas, ce qui risquerait de déstabiliser le Liban.
Une menace d’autant plus préoccupante que le pays, déjà fragilisé par des crises économiques, sociales et politiques, abrite plus d’un million de réfugiés syriens, une présence qui ne fera qu’exacerber ces risques.
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