
S’il a été au cœur des discussions lors du sommet informel réunissant Donald Trump, Mohammad ben Salmane et Ahmad el-Chareh à Riyad, le Liban s’est fait remarquer par son absence symptomatique. Mise à l’écart d’un pays paralysé par ses propres contradictions ou redéfinition des priorités?
Riyad, mai 2025. Au cœur du désert saoudien, la rencontre à huis clos entre trois figures-clés du jeu régional — le président américain, Donald Trump, le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane (MBS), et le président syrien, Ahmad el-Chareh — a relancé les discussions sur la recomposition du Moyen-Orient. Mais au milieu des enjeux géopolitiques abordés, un absent de taille a été évoqué à plusieurs reprises: le Liban.
Une chaise vide… mais pas une exclusion politique
Contrairement aux spéculations, l’absence libanaise à Riyad ne serait pas le fruit d’un désaveu diplomatique. Bien au contraire, estiment plusieurs observateurs interrogés par Ici Beyrouth. D’après eux, les relations entre le président libanais — qui a choisi Riyad pour sa première visite officielle — et le prince héritier saoudien sont aujourd’hui au beau fixe, marquant une nette amélioration après des années de froid diplomatique durant et après l’ère de l’ancien chef de l’État Michel Aoun. Le Premier ministre libanais, Nawaf Salam, avait lui-même participé, en mars dernier, à une prière du Ramadan aux côtés de MBS, un geste hautement symbolique de rapprochement.
Alors pourquoi cette chaise vide? Pour Farès Souhaid, ancien député et président du Conseil national pour la levée de l’occupation iranienne au Liban, la rencontre de Riyad était surtout centrée sur le dossier syrien — et plus spécifiquement sur la levée des sanctions américaines contre Damas. Une opération diplomatique majeure menée par l’Arabie saoudite, qui a réussi à faire tomber les dernières barrières entre Washington et une Syrie post-Assad et qui, paradoxalement, pourrait bénéficier avant tout au Liban, tant sur les plans politique qu’économique et social.
Cette normalisation progressive de la Syrie va bien au-delà des symboles. En actant la fin du régime Assad et en poussant vers une stabilisation institutionnelle rapide, les États-Unis ont envoyé un message clair, estime M. Souhaid: il est temps de réintégrer la Syrie dans le concert régional, mais sous conditions strictes. Parmi elles, la fin des opérations militaires vers Israël depuis le sud syrien, l’interdiction du port d’armes et une reprise du contrôle des frontières — autant d’éléments que le président Chareh aurait accepté de mettre en œuvre.
Pour le Liban, cette réorientation est capitale, suggère l’ancien député. Une Syrie stabilisée et sous contrôle signifie un coup d’arrêt potentiel à la contrebande d’armes, à l’infiltration de groupes armés et au chaos transfrontalier. D’ailleurs, au cours des deux dernières semaines, trois camions transportant illégalement des armes vers le Liban ont été interceptés. C’est, de fait, la raison pour laquelle l’accélération de la délimitation des frontières entre les deux pays voisins a récemment été actée.
Au mois de mars dernier, les ministres libanais et syrien de la Défense, Michel Menassa et Mourhaf Abou Qasra respectivement, avaient conclu un accord en Arabie saoudite, soulignant l'importance de procéder à la démarcation des frontières, afin de faire face aux menaces sécuritaires et militaires. Il s’agit là d’un élément stratégique qui vise à attribuer à l’armée libanaise un contrôle effectif sur son territoire.
Washington soutient Beyrouth… mais attend des gestes
Si la stabilisation de la Syrie est une condition sine qua non pour un redressement du Liban, pour les raisons évoquées plus haut – une Syrie chaotique pouvant avoir des retombées majeures sur Beyrouth et risquant de retarder le processus de réformes dans le pays –, le Liban n’est toutefois pas oublié, côté américain. Le président Trump a, en effet, délivré un message clair à partir de Riyad: les États-Unis sont prêts à soutenir le Liban, mais ils attendent désormais des mesures concrètes et rapides.
Deux sujets dominent donc les exigences occidentales: le monopole des armes par l’État – une allusion directe au Hezbollah –, et un positionnement diplomatique plus clair du Liban concernant les accords d’Abraham. Si Beyrouth veut redevenir un acteur central, elle devra se prononcer en faveur d’une paix régionale et prendre des engagements concrets en matière de sécurité.
«Il faut dire que, malgré l’élection récente du président de la République et la formation d’un nouveau gouvernement, aucune inflexion politique majeure n’a encore été amorcée», martèle le journaliste et politologue Ali Hamadé. «Les réformes attendues tardent et les engagements en matière de recouvrement de la souveraineté de l’État restent lettre morte, en particulier, la question centrale de l’arsenal du Hezbollah, qui demeure sans réponse sérieuse», précise-t-il.
Selon lui, cette inaction suscite une exaspération croissante au sein de la communauté internationale, menée par les États-Unis, mais aussi chez les partenaires arabes, avec à leur tête l’Arabie saoudite. «Tous attendent des gestes concrets du Liban sur le dossier sensible du Hezbollah, qui doit impérativement rendre ses armes et se transformer en un parti exclusivement politique et civil». Une ouverture régionale envers Beyrouth ne saurait s’envisager tant que l’État libanais ne reprend pas véritablement la main», signale-t-il.
Sur le terrain, des plans commencent à émerger. Il serait question, selon des sources bien informées, de placer les armes lourdes et moyennes sous la garde exclusive de l’armée libanaise, dans des dépôts contrôlés. Les armes individuelles pourraient également être répertoriées et encadrées. L’objectif: faire de l’armée l’unique force armée légitime, en conformité avec la résolution 1701, que le Hezbollah aurait accepté de respecter dans le cadre d’un cessez-le-feu, conclu en novembre 2024, puis renouvelé.
À l’heure du grand tournant régional, le Liban se trouve à la croisée des chemins. La nouvelle dynamique qui s’instaure progressivement entre le monde arabe et l’Occident, et plus particulièrement les États-Unis, offre une opportunité historique. Encore faut-il que Beyrouth décide d’y jouer un rôle actif, au lieu d’assister, impuissant, à la redistribution des cartes autour de lui.
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