
Jeudi 15 mai, place de l’Étoile. C’est ici que les parlementaires se réunissent, à partir de 11h, pour une séance législative marquée par l’ampleur inédite de son ordre du jour qui compte 83 projets de loi, présentés pour examen. Une accumulation révélatrice d’une gouvernance en crise chronique, oscillant entre blocages institutionnels et volonté de réforme.
Économie et ajustements
Parmi les textes les plus sensibles figure la proposition de loi visant à modifier la loi n° 42/1986 interdisant la vente des avoirs en or détenus par la Banque du Liban (BDL), de manière directe ou indirecte, sauf en vertu d’un texte législatif promulgué par la Chambre des députés. Ce projet vise à verrouiller davantage la protection de cet actif stratégique, alors que les réserves fondent sous l’effet de la crise monétaire.
La scène économique est, quant à elle, dominée par une série de projets relatifs aux retraites, particulièrement dans les secteurs de la fonction publique, de l’armée et de l’éducation. Une proposition de loi visant à modifier l’âge de départ à la retraite a été avancée, tandis qu’un texte distinct prévoyait une réforme du régime de retraite des professeurs de l’université libanaise.
Par ailleurs, un autre projet tend à inclure des indemnités permanentes dans la base des pensions de retraite des militaires, dans un contexte où l’érosion monétaire a rendu ces allocations dérisoires.
Parallèlement, et parmi les points à l’ordre du jour, figurent ceux destinés à sécuriser les droits économiques de certaines populations. Un projet de loi pour la protection des dépôts bancaires a notamment polarisé l’attention, puisqu’il s’agit d’une revendication récurrente depuis la crise économique. Une autre initiative prévoit, dans un autre registre, des exonérations fiscales pour les habitants du Liban-Sud, directement affectés par les attaques israéliennes depuis le début de la guerre entre le Hezbollah et l’État hébreu, ainsi que pour les familles des victimes tombées du fait des bombardements.
Dans le même ordre d’idées, une proposition de loi pour exonérer les villes et villages du Liban-Sud des frais d’eau, d’électricité et des amendes accumulées, en reconnaissance des lourdes conséquences de la guerre, fait partie des 83 points à l’ordre du jour.
Justice et souveraineté juridique
Autre sujet brûlant: plusieurs propositions de loi liées à l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth, du 4 août 2020, notamment celle visant à lever les immunités parlementaires et administratives dans le cadre de cette affaire. Présentée donc comme une réponse à l’impunité chronique, cette proposition entendait retirer tout prétexte juridique empêchant l’instruction judiciaire dans ce dossier emblématique. Plusieurs députés ont ainsi soumis une série de textes destinés à faciliter les poursuites mais aussi à protéger la mémoire des victimes, notamment à travers la reconnaissance du site des silos comme monument commémoratif.
Le volet juridique de la séance est, par ailleurs, dominé par un ensemble de propositions visant à réviser des piliers fondamentaux du droit libanais. Un projet de loi pour modifier des articles du Code pénal, tandis qu’un autre projet touchait directement aux Codes de procédure civile et pénale. Dans un contexte d’instrumentalisation chronique de la justice, ces initiatives sont perçues, par certains observateurs, comme autant de tentatives de remodeler l’architecture judiciaire libanaise.
Dans une optique internationale, un projet de loi a également proposé que le Liban adhère au Statut de Rome de la Cour pénale internationale et accepte sa juridiction pour tous les crimes israéliens commis sur le territoire depuis le 1er juillet 2002. Une telle adhésion, bien que symboliquement forte, poserait la question de l’articulation avec la souveraineté judiciaire nationale et les rapports de force régionaux.
La question syrienne au cœur des clivages
Le dossier des réfugiés syriens a occupé une place controversée avec deux projets de loi urgents: l’un visant à empêcher toute forme d’intégration des réfugiés syriens au Liban, l’autre appelant à l’expulsion des Syriens en situation illégale. Des propositions qui relancent le débat explosif autour de la présence syrienne au Liban, à l’heure où les tensions communautaires et la crise économique alimentent les discours hostiles.
En outre, un projet de loi controversé propose d’interdire aux propriétaires de louer des appartements à toute personne résidant au Liban sans preuve d’identité ou entrée légale, sous peine d’amendes et de sanctions. Ce texte, s’il venait à être adopté, créerait une pression accrue sur les réfugiés syriens et autres personnes sans statut légal, dans un pays déjà au bord de la rupture humanitaire.
Logement, loyers et responsabilité civile: une bombe sociale désamorcée?
Face à la multiplication des effondrements d’immeubles anciens et étant donné la montée des tensions sur le marché locatif, plusieurs textes ont tenté de redéfinir les responsabilités juridiques des propriétaires soumis aux lois exceptionnelles sur les loyers.
Deux projets de lois sont particulièrement significatifs: l’un visant à exonérer ces propriétaires de toute responsabilité civile ou pénale, l’autre à clarifier les modalités de calcul des augmentations prévues dans la loi d’amendement de 2017.
Dans le même esprit, figure un projet pour désigner les responsables des dommages causés par les effondrements d’immeubles, un sujet explosif alors que le drame du rond-point de Tayouné à Beyrouth reste vivace dans les mémoires.
On rappelle, à cet égard, que le 22 avril dernier, un bâtiment s’est subitement écroulé dans la banlieue sud de Beyrouth, à cause de fissures structurelles dues aux multiples frappes israéliennes, sans qu’aucun blessé ne soit signalé. Selon l’association libanaise de l’immobilier, le nombre de bâtiments endommagés varierait entre 16.000 et 18.000 et ce, uniquement à Beyrouth, notamment après le 4 août 2020, date de l’explosion dévastatrice au port.
Ces chiffres n'incluent pas, selon le rapport, les habitations affectées dans le nord du pays, où un fort tremblement de terre avait fragilisé, en 2024, des structures déjà vétustes, souvent construites sans permis ou normes de sécurité.
Éducation et fonction publique
Le secteur éducatif, déjà sinistré, a vu émerger deux propositions marquantes. L’une visant à annuler les examens officiels du brevet, l’autre, plus structurelle, entend rétablir les prérogatives du président et du Conseil de l’Université libanaise (UL), dans un contexte d’affaiblissement de l’autonomie universitaire et de désengagement de l’État.
Plusieurs propositions traitent également de la réforme de la fonction publique: âge de départ à la retraite, accès aux concours, statut des enseignants de l’Université libanaise. Ces textes souvent traduisent les pressions sociales de corps professionnels exsangues après des années d’effondrement salarial.
Sécurité et défense
Plusieurs textes portent sur les forces de sécurité et l’armée. L’un d’eux vise la promotion automatique des sous-officiers de la direction générale des Forces de sécurité intérieure, probablement pour répondre à une crise de motivation interne. D’autres lois cherchent à harmoniser ou renforcer les droits des retraités des forces armées, de la sécurité publique ou encore des services de renseignement.
Dans le domaine de l’ordre public, un projet visant à renforcer la loi criminalisant les tirs en l’air a été avancé, tandis qu’un autre a été proposé pour interdire immédiatement les jeux de hasard électroniques, jugés incontrôlés et nuisibles.
Environnement
Plus consensuel, un projet de loi visant à transformer l’ancienne décharge de Costa Brava en centrale solaire pour alimenter l’aéroport international de Beyrouth (AIB) illustre une tentative de transition énergétique dans un pays où le courant électrique reste une denrée rare.
En somme, la séance du 15 mai aura davantage révélé l’état de fragmentation du pays que sa capacité à produire des solutions systémiques. Des lois urgentes se succèdent dans un Parlement sans feuille de route claire, entre réactivité ponctuelle et absence d’arbitrage politique. Alors que le Liban a raté une occasion majeure au sommet de Riyad pour se repositionner régionalement, son législateur reste empêtré dans les conséquences d’une crise plurielle – économique, judiciaire, sociale, sécuritaire – qui exige bien plus qu’un empilement de textes.
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