Anxiété: un patch pour la lire dans votre sueur
©Shutterstock

Des chercheurs ont mis au point un patch capable de détecter les marqueurs de l’anxiété dans la transpiration, une percée technologique qui pourrait transformer la manière dont nous suivons notre santé mentale, silencieusement, mais en continu.

La transpiration, souvent reléguée à un simple désagrément corporel ou à une réponse thermique banale, s’impose aujourd’hui comme une nouvelle frontière pour la médecine connectée. Elle contient bien plus que de l’eau et du sel, on y trouve des indices biochimiques précieux sur notre état intérieur. Parmi eux, le cortisol, souvent qualifié d’«hormone du stress», attire particulièrement l’attention. Sa concentration augmente lorsque l’organisme est soumis à un stress chronique ou à une montée d’anxiété, ce qui en fait un marqueur fiable de ces états mentaux.

Des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), en partenariat avec la start-up Xsensio, ont récemment mis au point un patch capable de mesurer le taux de cortisol dans la sueur de façon continue. Ce dispositif, à la fois souple, discret et non invasif, se fixe simplement sur la peau. Il intègre une membrane microfluidique qui absorbe la sueur et un capteur qui réagit à la présence de cortisol par un signal électrochimique. Les données récoltées peuvent ensuite être transmises à un smartphone, permettant un suivi précis et en temps réel.

Cette avancée, saluée dans le monde scientifique, pourrait révolutionner le suivi des troubles anxieux et du stress chronique, notamment dans les milieux où la parole est rare, difficile ou stigmatisée. L’idée d’un suivi passif et silencieux, sans tests sanguins, questionnaires ni applications invasives, séduit à la fois médecins et patients. Elle ouvre la voie à une meilleure individualisation des thérapies, mais aussi à une prévention plus fine. Car si l’anxiété reste invisible, ses manifestations biologiques, elles, ne le sont plus.

Quand le corps parle sans un mot

Cette technologie s’inscrit dans une tendance croissante de la médecine connectée: comprendre l’état émotionnel ou mental à travers des capteurs biométriques intégrés dans des objets du quotidien. En Californie, des chercheurs de la Northwestern University ont ainsi développé un capteur ultra-fin capable de détecter, lui aussi, le niveau de stress via la sueur. Ce capteur pourrait être intégré dans des montres connectées ou des patchs cutanés, ouvrant la voie à une cartographie continue des états émotionnels au cours de la journée.

L’enjeu n’est pas seulement scientifique, il est aussi éthique et social. Dans un monde de plus en plus soumis aux injonctions de performance, la santé mentale s’effrite silencieusement. Selon l’Organisation mondiale de la santé, les troubles anxieux touchent près de 264 millions de personnes dans le monde, un chiffre probablement sous-estimé. Les pathologies liées au stress, burn-out, dépression, troubles anxieux généralisés, progressent, souvent sans que les individus eux-mêmes en aient pleinement conscience.

C’est là que ces technologies prennent tout leur sens. Plutôt que d’attendre la crise ou l’effondrement, elles proposent un suivi en amont, au plus près du corps, dans ses signaux les plus subtils. En recueillant des données objectives sur les niveaux de stress, elles peuvent compléter les approches psychologiques et psychiatriques, trop souvent centrées sur la parole, le récit ou le visible. Elles redonnent aussi une forme d’autonomie au patient, qui peut apprendre à anticiper ses épisodes anxieux, à reconnaître ses seuils de tolérance, à adapter son rythme.

Mais ces dispositifs posent aussi des questions fondamentales. Peut-on vraiment quantifier une émotion? Que signifie «objectiver» un état intérieur? Et surtout, à qui appartiennent ces données? Les chercheurs de l’EPFL insistent sur la nécessité de protéger la vie privée des utilisateurs, en garantissant le cryptage et la non-transmissibilité des informations. Mais dans un monde où les données personnelles sont une monnaie d’échange, la frontière entre soin et surveillance peut vite devenir poreuse.

Certains experts rappellent également que le cortisol, s’il est un indicateur important, n’est pas une preuve absolue d’anxiété. Il varie selon l’heure du jour, l’alimentation, l’activité physique et les cycles hormonaux. Un pic de cortisol ne signifie pas nécessairement un épisode anxieux. C’est pourquoi ces patchs ne doivent pas être utilisés comme des oracles émotionnels, mais comme des compléments dans un écosystème de soin plus large. Leur puissance réside dans la capacité à créer une cartographie personnelle du stress, non à poser un diagnostic instantané.

L’avenir, en tout cas, est déjà en marche. Des applications commencent à intégrer ces capteurs dans des objets du quotidien, montres, t-shirts, casques audio. Le patch imaginé par Xsensio pourrait devenir un outil standard dans le suivi de certaines professions à risque, soignants, pompiers, enseignants, managers, mais aussi pour les adolescents, chez qui les troubles anxieux sont en forte croissance depuis la pandémie.

Alors que la santé mentale devient un enjeu majeur du XXIe siècle, cette sueur que nous tentions de cacher devient enfin visible, audible, lisible.

Le patch EPFL-Xsensio en chiffres

  • Technologie: transistor à effet de champ à grille étendue (EG-FET) utilisant du graphène.
  • Fonction: mesure en temps réel du cortisol dans la sueur.
  • Objectif: suivi quasi continu du stress pour aider à la prévention et au traitement des troubles liés au stress.
  • Applications potentielles: surveillance de l’anxiété, du burn-out, de l’obésité et d’autres affections liées au stress.
  • Avantage: dispositif non invasif, discret et connecté, offrant une alternative aux méthodes traditionnelles de mesure du stress.
Commentaires
  • Aucun commentaire