Mégacentres de vote: fiche technique
La diaspora libanaise votant à Dubaï, lors des élections législatives, le 8 mai 2022. ©AFP

Dans un Liban fragilisé par la guerre et la crise économique, l’idée d’instaurer des mégacentres de vote revient avec insistance. Présentée comme une solution pratique et équitable pour les électeurs déplacés, elle se heurte à des résistances politiques tenaces. Retour sur les enjeux, les précédents et les conditions d’une telle réforme.

Des dizaines de milliers d’électeurs déplacés, des localités dévastées et une échéance électorale qui approche. Alors que le Liban-Sud paie un lourd tribut à la suite de la guerre avec Israël, la tenue des prochaines élections municipales soulève une question urgente: comment garantir le droit de vote aux citoyens contraints de fuir leur région d’origine? Pour nombre d’observateurs et de défenseurs de la réforme, les mégacentres représentent une solution pragmatique à cette situation.

Qu’est-ce qu’un mégacentre de vote?

Un mégacentre de vote est un bureau de vote de grande capacité, installé généralement dans des centres urbains, qui permet aux électeurs de voter depuis leur lieu de résidence, sans avoir à se rendre dans leur circonscription d’enregistrement.

Contrairement au système traditionnel en vigueur au Liban, qui exige que chaque électeur vote dans sa localité d’inscription – souvent son village natal –, les mégacentres offrent une alternative centralisée. Cette option vise à simplifier l’accès au vote et à augmenter la participation électorale.

Pourquoi les mégacentres sont-ils au cœur du débat au Liban?

La question prend une résonance particulière dans le contexte libanais actuel. Depuis l’escalade du conflit entre le Hezbollah et Israël, à l’automne 2024, de nombreuses localités du Liban-Sud ont été ravagées. Des dizaines de milliers de personnes ont dû fuir vers Beyrouth et d’autres grandes villes.

Dès lors, comment permettre à ces électeurs déplacés d’exercer leur droit de vote sans devoir retourner dans des zones aujourd’hui détruites ou inaccessibles?

Plusieurs partis, ONG et figures politiques soutiennent la mise en place de ces grands centres de vote, les présentant comme un levier de modernisation du système électoral. Selon eux, ces structures pourraient non seulement réduire les coûts de déplacement pour les électeurs, mais aussi limiter les pressions, les menaces et le clientélisme qui s’exercent dans les fiefs électoraux.

Cette vision réformatrice se heurte à une vive opposition de la part du tandem Hezbollah-Amal qui y voit une menace directe pour son ancrage électoral, notamment dans les municipalités du sud. Le mouvement Amal, dirigé par le chef du Parlement, Nabih Berry, rejette l’idée de permettre aux électeurs déplacés de voter dans un mégacentre situé à Beyrouth ou ailleurs dans le pays. Le mouvement chiite voudrait plutôt que les déplacés votent dans des localités voisines de leurs villages sinistrés, toujours sous l’influence du tandem, ce qui garantirait un certain contrôle politique sur le scrutin.

Pour Amal et le Hezbollah, l’instauration de mégacentres risquerait de bouleverser l’équilibre électoral de la communauté chiite. Ces partis accusent leurs adversaires de promouvoir cette réforme pour affaiblir leur représentation, alors que le mécontentement gronde au sein même de leur base, alimenté par des années de crises socio-économiques et par la guerre de 2024.

Démarche requise

La mise en place d’un mégacentre de vote entraîne une profonde transformation du processus électoral. Elle nécessite en général des réformes juridiques, administratives et logistiques, car elle change à la fois la façon dont les électeurs accèdent au vote et l’organisation des scrutins.

Sur le plan juridique, la création de mégacentres suppose bien souvent un amendement de la loi électorale. En effet, permettre aux citoyens de voter en dehors de leur circonscription remet en cause plusieurs principes de base, à savoir le lien entre le lieu de résidence et le bureau de vote, l’organisation des listes électorales par zone ou encore les mécanismes destinés à éviter le vote multiple.

Une fois le cadre légal établi, l’administration entre en jeu. Il faut d’abord choisir des mégacentres facilement accessibles, spacieux, bien équipés et sécurisés. Il est aussi essentiel d’y mettre en place un système fiable d’identification des électeurs, capable de reconnaître les inscrits venant de différentes régions. Les agents électoraux doivent être formés à gérer un afflux massif de votants issus de diverses localités. Enfin, le dépouillement des votes doit s’adapter à cette configuration centralisée – souvent grâce à des outils automatisés ou semi-automatisés – afin d’assurer un comptage rapide et transparent.

Un modèle déjà éprouvé

Le concept de mégacentre de vote, souvent perçu comme une réforme ambitieuse, n’est pourtant pas inédit. Il est déjà mis en œuvre dans plusieurs pays.

Le cas de la diaspora libanaise en est une illustration concrète. Lors des élections législatives de 2018 et 2022, l’ambassade et les consulats libanais en France ont mis en place plusieurs mégacentres de vote, installés dans des lieux publics de grande capacité, tels que gymnases, centres culturels ou salles municipales, répartis sur l’ensemble du territoire français.

Environ 28.000 Libanais résidant en France se sont enregistrés pour voter, soit trois fois plus qu’en 2018. L’Allemagne a compté 17.000 inscrits, alors que l’ensemble du continent africain en a regroupé 20.000.

Les électeurs ont été regroupés par zones géographiques afin de simplifier la logistique et faciliter la participation. Le scrutin s’est déroulé de manière classique, avec des urnes sécurisées et rapatriées au Liban pour le dépouillement.

Le vote des Libanais de l’étranger a été rendu possible grâce à un amendement de la loi électorale en 2017. 

D'autres pays ont également recours à des dispositifs similaires. En Afrique du Sud, les électeurs peuvent voter dans n’importe quel bureau du pays, à condition de le signaler à l’avance. Aux États-Unis, le Texas, par exemple, permet aux électeurs de voter dans n’importe quel bureau du comté, indépendamment de leur adresse initiale, grâce à des bases de données électorales interconnectées.

Une tentative avortée en 2022

En 2022, le Liban a envisagé, pour la première fois, l’instauration de mégacentres de vote à l’occasion des élections législatives. Une commission interministérielle, formée pour étudier leur faisabilité, a rapidement souligné les limites du projet.

Selon le rapport rendu public par le ministère de l’Intérieur, cette entreprise nécessitait au moins cinq mois après une éventuelle modification de la loi électorale, ainsi qu’un budget estimé à près de 5,9 millions de dollars. Face à ces contraintes juridiques, logistiques et financières, le Conseil des ministres a reporté le débat, le renvoyant à une commission pour examen ultérieur, sans suite concrète à ce jour.

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